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L’objet de ce billet est d’analyser les liens entre les caractéristiques démographiques des femmes, leurs comportements par rapport à la « sphère marchande » du marché du travail et les responsabilités qu’elles assument, notamment dans la prise en charge des enfants.
Conformément aux lois naturelles et universelles de la démographie, les femmes représentent la moitié de la population[1]. Selon les dernières données disponibles, leur effectif atteint 17,5 millions en 2017 au Maroc. A l’image de la population globale, l’urbanisation ayant gagné du terrain, plus de six femmes sur 10 vivent en milieu urbain (62,4 %). Un peu plus du quart a moins de quinze ans (26,4 %), près des deux tiers forment la population en âge de travailler (64,6 % ont entre 15 et 59 ans) et 9 % ont 60 ans et plus.
La ventilation des femmes marocaines âgées de 15 ans et plus selon l’état matrimonial montre que près de six femmes sur dix d’entre elles (58,8 %) sont mariées, 28,1 % sont célibataires, 10 % sont veuves et 3,1 % sont divorcées. Pour les hommes, ces fréquences sont respectivement de 58,3 %, 40,1 %, 0,9 % et 0,8 %. Cela montre que le célibat est bien plus élevé chez les hommes alors que le veuvage et le statut de divorcé caractérisent davantage les femmes. Ceci s’explique essentiellement par la facilité du remariage pour les hommes après un divorce comme après le décès de leur conjoint. Contrairement aux femmes dont une bonne proportion décline une éventuelle offre de remariage pour rester disponible et pouvoir prendre soins de leurs enfants[2].
Tableau 1 : Structure de la population âgée de 15 ans et plus (en %) selon l’état matrimonial
Situation matrimoniale |
Hommes |
Femmes |
Ensemble |
Célibataire |
40,1 |
28,1 |
34,0 |
Marié(e) |
58,3 | 58,8 |
58,6 |
Veuf(ve) |
0,9 |
10,0 |
5,5 |
Divorcé(e) |
0,8 | 3,1 |
1,9 |
Total | 100,0 | 100,0 |
100,0 |
Source : ENE 2017, HCP
La ventilation des femmes ayant plus de 15 ans selon l’état matrimonial et le niveau scolaire montre que les femmes célibataires ont un capital scolaire plus élevé que celui des autres catégories ; elles sont suivies par les femmes divorcées. Ainsi parmi les célibataires 44,5 % ont le niveau secondaire et plus, 18 % parmi les divorcées. On entrevoit ici que la poursuite des études non seulement retardent l’âge au mariage pour celles qui se marient mais contribuent peut-être aussi à accroître leurs exigences en matière de choix des conjoints. Cette idée est accréditée par le fait que la fréquence des instruites est également relativement élevée parmi les divorcées : les études confèrent aux femmes plus d’indépendance et elles deviennent de ce fait plus enclines à rompre en cas de mésentente. La fréquence baisse à 14,2% pour les mariées et à 3,7% pour les veuves.
Tableau 2 : Structure du niveau scolaire de la population féminine âgée de 15 ans et plus selon l’état matrimonial
Niveau scolaire |
Célibataire | Mariée | Veuve | Divorcée |
Total |
Sans |
13,9 |
52,4 | 83,0 | 40,3 |
44,3 |
Fondamental |
40,8 | 31,1 | 10,7 | 40,1 |
32,0 |
Secondaire |
26,2 |
8,5 | 2,6 | 11,5 |
13,0 |
Supérieur |
18,3 | 5,7 | 1,1 | 6,5 |
8,8 |
Autre niveau |
0,8 |
2,3 | 2,5 | 1,6 |
1,9 |
Total |
100,0 |
100,0 | 100,0 | 100,0 |
100,0 |
Age moyen en années |
25,1 |
41,4 | 65,4 | 43,3 |
38,8 |
Source : ENE 2017, HCP
En ce qui concerne l’activité, en 2017, 22,4 % des femmes participent au marché de travail. Ce taux cache cependant des disparités selon le statut matrimonial. Ainsi le taux de participation atteint 43,5 % parmi les divorcées, suivies par des célibataires (28,6%), puis les mariées (19,8 %) et enfin les veuves (14,0 %). La relative forte participation des femmes divorcées pourrait tenir à la nécessité de devoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants en l’absence d’un soutien économique dans le ménage après la rupture du mariage. Cela peut tenir aussi leur niveau d’études plus élevé.
Ces facteurs expliquent aussi leur taux d’emploi plus élevé (37,7 %), près du double de celui des célibataires (19,4 %) et des mariées (19 %) ; 13,4 % pour les veuves. A l’opposé, les femmes célibataires sont les plus touchées par le chômage, avec un taux de 32,1 %, suivies par les divorcées (13,2 %). Il est probable que lorsqu’elles vont sur le marché du travail, les divorcées sont, du fait de leurs contraintes, moins exigeantes (salaires de réserve plus bas) ou plus opiniâtres pour décrocher un emploi, précisément puisque la nécessité de disposer d’un revenu est plus cruciale. Le taux de chômage des veuves et des mariées est très faible (respectivement 4,1 % et 4,4 %). En fait le taux de chômage tend à augmenter avec le taux de participation au marché du travail (sphère marchande de celui-ci) et à diminuer dans les situations où la participation à ce marché provient d’une nécessité (cas des divorcées).
Tableau 3 : Les indicateurs d’activité, d’emploi et de chômage de la population féminine âgée de 15 ans et plus, selon l’état matrimonial (en%)
Niveau scolaire |
Célibataire |
Mariée | Veuve | Divorcée |
Total |
Taux d’activité |
28,6 |
19,8 | 14,0 | 43,5 |
22,4 |
Taux d’emploi |
19,4 |
19,0 | 13,4 | 37,7 |
19,2 |
Taux de chômage |
32,1 |
4,1 | 4,4 | 13,2 |
14,7 |
Source : ENE 2017, HCP
Les analyses précédentes sont confortées par les données relatives à la répartition des femmes selon la présence d’un soutien économique dans le ménage[3]. On y relève que les veuves sont les plus exposées à vivre dans un ménage sans aucun soutien économique (34,8 % ce qui correspond à près de 452 mille femmes. Il est de même, bien que dans une moindre mesure, pour les femmes divorcées (25,8 % ou 103 mille personnes). Comme les femmes célibataires vivent le plus souvent dans leur ménage d’origine, elles ne sont que 12,8 % à ne pas bénéficier de soutien et enfin les mariées (8,2 %) puisque selon les normes sociales continuent de conférer au conjoint le travail à l’extérieur.
Il va de soi que les développements soutenus ici se situent dans l’acception usuelle retenue par les statisticiens (optique BIT) et considèrent comme « travail », celui de la sphère marchande. En d’autres termes, les tâches domestiques sont « ignorées » ; or elles donnent lieu, dans d’autres travaux, à de pertinentes évaluations : soit en termes de coût d’opportunité (auquel on approxime leur valeur par le salaire qu’auraient perçu la femme si elle exerçait une activité à l’extérieur) ou encore en estimant la valeur des biens et services auxquels donnent lieu l’accomplissement de ces tâches.
Les femmes, toutes situations confondues, vivant dans un ménage avec un seul soutien économique représentent plus de la moitié (61,5 %). Cette part est plus élevée parmi les femmes mariées que parmi les célibataires, divorcées et veuves, soit respectivement 67,4 %, 55,6 %, 47,4 % et 49,7 %. Si la contribution des femmes célibataires et mariées au soutien économique dans cette catégorie de ménages (1 seul soutien) est très faible, elle prend de l’ampleur chez les veuves et davantage chez les divorcées. En effet, moins de 2 % des femmes mariées sont « le seul soutien économique » de leur ménage puisque dans leur cas, c’est le conjoint qui assure ce soutien. Cette fréquence reste faible (3,6 %) pour les célibataires car elles vivent le plus souvent avec leurs parents. Les plus fortes proportions des veuves (11,5 %) et des divorcées (25,1 %) viennent de ce qu’elles relativement plus nombreuses à devoir prendre en charge leur ménage.
Les femmes non célibataires ont en moyenne 1,3 enfant à charge
Les données de l’ENCDM 2013/14 révèlent que les femmes non célibataires ont en moyenne 2,1 enfants qui vivent avec elles dans le ménage. Cet effectif diffère selon le milieu de résidence, le niveau scolaire et l’état matrimonial. En effet, les femmes rurales cohabitent en moyenne avec 2,2 enfants et les citadines avec 2 enfants. En fait ces dernières sont plus enclines à confier leurs enfants à leurs parents quand elles exercent une activité. Sans surprise, l’effectif moyen s’élève à 2,3 pour les femmes mariées. Par contre les veuves cohabitent avec 1,7 enfants, soit jeunes et elles en assument la charge, soit adultes auquel cas ce sont elles, alors âgées, qui rejoignent le ménage de leur enfant. Chez les divorcées, l’effectif moyen est encore plus faible (0,9 enfants) car à celles qui n’en obtiennent pas la garde, s’ajoutent celles qui confient leurs enfants à leurs parents, même lorsqu’elles travaillent pour subvenir à leurs besoin ; elles opèrent alors des transferts.
La prise en compte de l’éducation montre que les femmes sans aucun niveau vivent en moyenne avec 2,3 de leurs enfants au sein du même ménage, contre 1,6 pour celles ayant le niveau secondaire et plus. Ces dernières sont, comme mentionné plus haut, plus touchées par le divorce.
S’agissant des enfants à charge, c’est-à-dire ceux en bas âge (0-6 ans) et scolarisés (7 ans et plus), les femmes non célibataires ont en moyenne 1,3 enfants vivant avec elles dans le ménage. Pour des raisons analogues à celles exposées précédemment, chez les mariées, cette moyenne progresse à 1,5 et elle tombe à 0,5 pour les divorcées et à 0,3 pour les veuves. On peut préciser que pour ces deux dernières catégories, les femmes assument seules la charge et on relève par ailleurs que le pourcentage des hommes qui prennent en charge seul des enfants est bien plus réduit, du fait notamment (comme observé plus haut) qu’ils ont plus tendance à se remarier après un divorce ou le décès de l’épouse.
Le tableau ci-après comporte les effectifs relatifs aux diverses catégories : le nombre de femmes ayant des enfants à charge vivant avec elles dans le même ménage s’élève à 5,2 millions à l’échelle nationale, 3,2 millions en milieu urbain et 2,0 millions en milieu rural. 92,2 % parmi elles sont mariées, 4,3 % sont veuves et 3,5 % sont divorcées, soit respectivement 4,8 millions, 223 mille et 179 mille femmes.
Si l’on se situe du côté des enfants, le total de ceux qui vivent avec leurs mères dans le même ménage atteint 10,8 millions au niveau national (6,5 millions en milieu urbain et 4,3 millions en milieu rural). La quasi-totalité de ces enfants (94,3%, soit 10,2 millions) vivent avec des mères mariées, 3,4 % (369 mille) avec des mères veuves et 2,3 % (244 mille) avec des mères divorcées.
Outre les commentaires des diverses informations exposées dans ce billet, il nous semble opportun que les décideurs s’y penchent pour mieux cerner les diverses conditions de vie des enfants et au-delà, en vue d’identifier les mesures les plus appropriées pour soutenir les enfants selon la nature des ménages auxquels ils appartiennent et les modalités de leur prise en charge.
Tableau 4 : Effectif des femmes ayant des enfants à charge et nombre d’enfants à charge selon l’état matrimonial
Caractéristique | Effectif des femmes ayant des enfants à charge vivant dans le ménage | Effectif des enfants à charge vivant dans le ménage | Part des femmes n’ayant pas d’enfants à charge dans le ménage | Nombre moyen d’enfants à charge par femme |
Ø Etat matrimonial de la femme | ||||
Mariée |
4 757 986 |
10 209 184 |
28,6 |
2,15 |
Divorcée |
179 138 | 243 772 | 59,7 |
1,36 |
Veuve |
223 243 | 369 150 | 82,1 |
1,65 |
Ø Niveau scolaire | ||||
Néant |
2 802 892 | 6 102 536 | 46,5 |
2,18 |
Fondamental 1 |
1 094 255 |
2 261 793 | 25,3 |
2,07 |
Fondamental 2 |
610 487 | 1 219 016 | 23,2 |
2,00 |
Secondaire |
418 381 |
794 485 | 25,0 |
1,90 |
Supérieur |
234 352 |
444 276 | 22,4 |
1,90 |
Ø Milieu de résidence | ||||
Urbain |
3 195 264 | 6 511 410 | 36,6 |
2,04 |
Rural |
1 965 103 | 4 310 696 | 40,8 |
2,19 |
Ensemble |
5 160 367 |
10 822 106 | 38,3 |
2,10 |
Source : ENCDM 2013/14 – HCP
Par Abdeljaouad Ezzrari, Economiste Senior – PhD au Haut-Commissariat au Plan. ezzrari@yahoo.fr.
Cliquer ici pour télécharger l’intégralité du texte.
_______________________
[1] Les « exceptions » que connaissent certains pays, sont inhérentes à des décisions politiques (comme en Chine, la politique de « l’enfant unique » avait conduit à des infanticides et s’était traduite par un grand déséquilibre entre effectifs de garçons et de filles, celles-ci devenant beaucoup moins nombreuses) ou encore à des pratiques sociales (comme en Inde où le coût de la dote pour les familles est tel qu’elles préfèrent réduire le nombre de filles qui les composent et donnent encore une fois à des avortements provoqués ou des infanticides).
[2] Près de 4 femmes divorcées sur 10 ont des enfants à charge au Maroc, selon les mêmes données du HCP.
[3] On entend par soutien économique dans le ménage, la présence d’au moins une personne âgée de 15 ans et plus ayant un emploi rémunéré ou ayant une pension de retraite ou une rente, y compris la femme elle-même.