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Le soutien à la scolarisation au Maroc : Portée et limites du programme Tayssir. Par Fouzi Mourji, Marouane Ikira et Claire Ricard

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Au Maroc l’éducation absorbe une part importante du budget de l’Etat et constitue d’un autre côté une lourde charge dans les dépenses des ménages. Cela signifie que les efforts déployés sont très significatifs, pourtant les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances : au niveau des acquisitions, les élèves et collégiens marocains ne performent pas. En 2015, avec un score de 377, le Maroc se trouve à l’avant dernier rang dans les tests TIMSS, harmonisés au niveau international, en mathématiques pour le niveau de la 4ème année du primaire. Le score moyen au niveau international est de 500 points. En 2019, le Maroc demeure classé parmi les quatre derniers. De plus, comme corolaire de cette réalité, les compétences des diplômés ne semblent pas avérées quand on observe les tendances de leur emploi ou celles de la productivité au Maroc.

Ce billet a pour objectif de rendre compte de quelques travaux sur les effets du programme Tayssir. Nous anticipons de présenter aux lectrices et lecteurs, dans un proche avenir, une réflexion sur les effets des autres programmes de soutiens scolaires, que sont les opérations du « million de cartables », les cantines, Dar Taliba et Dar Talib et enfin les aides aux transports scolaires.

Genèse et caractéristiques du programme Tayssir

Au niveau international, les programmes de transferts monétaires sont censés constituer un des moyens pour la réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité dans les pays en développement, notamment chez les enfants (Skoufias & Di Maro, 2008 ; Handa et al., 2013 ; Skoufias et al., 2013). Théoriquement, ils sont introduits en vue d’améliorer la fréquentation scolaire, la nutrition, l’utilisation des services de santé et aussi afin de réduire le travail des enfants (Prado et Dewey, 2014 ; De Hoop et al, 2017). Au moins 63 pays appliquent actuellement des programmes de transferts monétaires (Bastagli et al., 2016). Le Maroc en fait partie depuis 2008 avec son programme de transferts pour soutenir l’éducation : Tayssir.
Ce programme consiste à accorder aux ménages modestes, des aides conditionnelles à la présence en classe de leurs enfants âgés de 6 à 15 ans. Il cible dans sa version initiale, les écoles situées dans les communes où le taux de pauvreté est supérieur à 30% selon la carte de la pauvreté monétaire de 2004 élaborée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Son objectif principal est de réduire l’abandon scolaire.
La mise en place de Tayssir s’est faite progressivement. La phase pilote a été lancée en 2008-2009 et 2009-2010 et a ciblé les écoles primaires dans 5 régions et 132 municipalités où le taux de pauvreté était supérieur à 30 % et le taux d’abandon scolaire supérieur à 8 %.
Ensuite, les critères d’abandon n’ont plus été utilisés et le programme a été étendu à l’ensemble des communes rurales où le taux de pauvreté était supérieur à 30%. A partir de 2011-2012, les élèves bénéficiaires ont pu continuer à percevoir le transfert au collège.
Jusqu’en septembre 2018, dans 434 municipalités, les ménages comportant des enfants percevaient des subsides dans le cadre de Tayssir (figure 1). Depuis la rentrée 2018, il a été généralisé, ainsi l’éligibilité au programme est dorénavant conditionnée seulement par la détention de la carte RAMED, quelle que soit la commune de résidence.

Figure 1 : Communes bénéficiaires et non bénéficiaires

Figure 1 : Communes bénéficiaires et non bénéficiaires

Les ménages éligibles reçoivent 60DHs par mois et par enfant inscrit dans les deux premières années du primaire, 80 DHs les deux années suivantes, 100 DHs les deux dernières années du primaire et 150 DHs au collège. Le transfert est censé couvrir les dépenses d’éducation des ménages ruraux qui dépensent en moyenne 180DHs par an et par personne dans l’éducation. Il représente entre 5,76 % (pour le montant le plus faible) et 13,43 % (pour le montant le plus élevé) des dépenses totales moyennes par an et par personne en zone rurale (HCP, 2016). Pour percevoir le transfert, les parents doivent se rendre au bureau de poste de leur municipalité ou à la navette postale dans les régions plus enclavées. Si leur enfant a manqué les classes plus de 4 jours au cours du mois précédent s’il est à l’école primaire et plus de 6 jours s’il est au collège, le ménage ne perçoit pas le transfert pour le mois considéré.

Bien qu’il n’y ait pas de cadre logique de l’évaluation du programme Tayssir, nous présentons dans une première section, son effet sur l’abandon scolaire et le travail des enfants. La deuxième section mesure l’impact du programme sur la réussite scolaire. Nous relevons cependant que le programme Tayssir n’a pas été suffisamment accompagné de mesures d’amélioration de l’offre éducative pour que le Maroc puisse pleinement profiter de son potentiel. Ainsi, le programme ne permet pas d’alléger le climat général qui connait : i) un absentéisme des enseignants, notamment en milieu rural avec souvent plusieurs niveaux dans la même classe et ii) une surcharge des classes en milieu urbain. Aussi, les parents ne sont pas incités à s’impliquer davantage dans l’éducation de leurs enfants. Dans la dernière section, nous analysons les effets de l’implication parentale sur les performances scolaires, sachant que des contreperformances au niveau de ces dernières contribuent pour une part à la propension à l’abandon.

Tayssir, abandon scolaire et travail des enfants

Pour discuter les effets de Tayssir sur l’abandon scolaire et le travail des enfants, nous utilisons la base de données de l’Observatoire National du Développement Humain (ONDH) en exploitant un échantillon de 3323 enfants issus de 1680 ménages ruraux et dont le taux de scolarisation est de 90,49%.

Dans un premier temps, nous effectuons une analyse élémentaire de l’effet de Tayssir à l’aide de la méthode d’appariement par score de propension. Celle-ci met en exergue son effet positif et significatif sur la fréquentation scolaire et de la même manière ses conséquences sur la réduction du travail des enfants vivant en milieu rural (tableau 1).

Tableau 1. Effet moyen du programme Tayssir sur la scolarisation et le travail des enfants en milieu rural

VariableÉchantillonGroupe de traitementGroupe de contrôleDifférenceT-stat
ScolarisationUnmatched94,3%89,24 %5,064.08
ATT94,4 %86,85 %7,554.10
TravailUnmatched4,47 %11,75 %-7,28-5.77
ATT4,40 %11,78 %-7,38-4.31

Source : Traitement à partir des données de l’enquête de l’ONDH.

Ce résultat conforme à l’intuition, rejoint les expériences internationales (Glewwe et al. 2012 ; Attanasio et al. 2010) dans le sens où les transferts versés destinés aux ménages pauvres permettent de réduire le coût d’opportunité de l’éducation dans ces ménages (Parker et Skoufias., 2001). De même, la conclusion tirée de cette première analyse rejoint les enseignements des travaux analysant Tayssir dans sa phase pilote (Benhassine et al, 2013 ; JPAL, 2012).

Cependant, en raison de la méthode de ciblage géographique opéré (ordre communal), un problème de correspondance entre les enfants éligibles et les bénéficiaires effectifs se pose. Ainsi de nombreux bénéficiaires ne sont pas forcément éligibles (biais d’inclusion) et inversement certains élèves non-bénéficiaires seraient éligibles (biais d’exclusion). De ce fait, le résultat obtenu dans la première analyse ne permet pas de mesurer la portée réelle du programme par rapport aux enfants qui méritent d’être ciblés en priorité.

La prise en compte du critère d’éligibilité nous a permis d’affiner l’analyse, en focalisant cette fois sur les bénéficiaires « méritants ». Les résultats montrent que le programme Tayssir est sans effet significatif sur la fréquentation de l’école par les enfants les plus pauvres (tableau 2). Cet effet non significatif est observé aussi quand on étudie la réduction du travail des enfants.

Tableau 2. Estimation par variable instrumentale de l’effet causal de Tayssir.

ScolarisationScolarisationTravailTravail
 First stageSecond stageFirst stageSecond stage
Tayssir 0.0280
(0.74)
 -0.0179
(-1.04)
Age de l’enfant0.0042
(1.36)
-0.0355
(-5.10)***
0.0042
(1.36)
0.0752
(7.03)***
Sexe de l’enfant (M : référence)0.0049
(0.27)
-0.0495
(-3.68)***
0.0049
(0.27)
-0.0195
(-3.20)***
Proportion d’enfants dans le ménage0.1302
(1.90)**
-0.0347
(-0.68)
0.1302
(1.90)**
0.0620
(2.66)***
Chef du ménage analphabète-0.0153
(-1.18)
0.0062
(0.32)
-0.0153
(-1.18)
0.0144
(1.64)
Chef du ménage actif occupé-0.0088
(-2.98)***
0.0405
(4.17)***
-0.0088 
(-2.98)***
0.0107
(2.44)***
Sexe du CM (M : référence)-0.0184
(-0.49)
0.0249
(0.89)
-0.0184
(-0.49)
-0.0163
(-1.29)
L’instrument Z0.3575
(9.55)***
 0.3575
(9.55)***
 
_cons0.0020
(1.03)
0.3068
(2.89)***
0.0020
(1.03)
-0.0141
(-0.59)
R20.19160.14020.19160.0452
(***) : Significatif au seuil de 1% ; (**) : Significatif au seuil de 5% ; (*) : Significatif au seuil de 10%

Source : Traitement à partir des données de l’enquête ONDH

Nous concluons que ce programme constitue un stimulateur de la demande d’éducation, mais pour être plus efficient, il devrait être accompagné d’un effort aussi important au niveau des conditions d’accès et de la qualité d’accueil. Il s’agit par exemples du transport pour parvenir à l’école, de la mise en place d’infrastructures sanitaires, surtout en milieu rural etc. En effet, nous relevons que les enfants éligibles doivent marcher en moyenne plus de 3 km pour rejoindre l’école primaire la plus proche. Cette situation engendre alors des charges supplémentaires relatives au coût de transport qui restreint la portée de l’effet de Tayssir : les coûts à supporter pour la scolarisation des enfants deviennent plus importants que les montants de l’aide accordée aux ménages. Les parents d’enfants habitant des localités montagneuses, très peu dotées en infrastructures routières, sont de ce fait peu incités à les envoyer à l’école, le montant des transferts se révèle insuffisant par rapport aux coûts que cela induit.

En relation toujours avec les infrastructures de base, mais cette fois-ci à l’échelle des services publics, l’alimentation en eau potable étant limitée dans certaines zones rurales au Maroc (51,44% des ménages éligibles ne disposent pas de l’eau potable dans leur foyer), il revient aux enfants d’en alimenter le foyer, ce qui leur laisse moins de temps à consacrer à l’école et à l’effort que requiert la réussite et la poursuite des études. Ceci nous invite à évaluer l’effet de Tayssir sur la réussite scolaire.

Tayssir et les résultats scolaires

Comme nous l’avons vu précédemment, Tayssir a globalement permis de réduire l’abandon scolaire bien qu’il n’ait pas favorisé la scolarisation des plus pauvres. Nous nous demandons ici si la réduction de l’abandon scolaire permise par Tayssir a eu un effet sur la réussite des élèves.

La question des effets d’un programme de transfert monétaire sur les performances des élèves a été soulevée dans plusieurs contextes, mais les résultats restent incertains. Au Mexique, Behrman et al. (2019) ont constaté que le programme PROSPERA avait un effet positif et significatif sur l’apprentissage. Au Cambodge, Filmer et Schady (2014) ne constatent aucun effet d’un programme similaire sur les compétences en mathématiques et en vocabulaire des enfants.

L’impact d’un programme de transfert monétaire sur les performances scolaires peut résulter de plusieurs mécanismes aux effets contradictoires. Tout d’abord, d’après Avitabile et al. (2019), les programmes de transferts monétaires pourraient avoir un effet positif sur l’apprentissage des élèves en permettant aux parents d’acheter des livres ou du matériel scolaire mais aussi de la nourriture de meilleures consistance et qualité.

Ensuite, par l’assiduité et un intérêt plus fort pour leur éducation, un programme comme Tayssir pourrait conduire à l’amélioration des résultats scolaires des élèves bénéficiaires. De plus, étant donné son ciblage géographique et non individuel, Tayssir aurait pu sensibiliser l’ensemble de la communauté socio-éducative à l’importance de l’éducation et motiver plus de personnes au sein de la communauté à améliorer les résultats des élèves. Or comme nous l’avons vu précédemment, les ménages les plus pauvres ne disposent pas des infrastructures de base telles que l’accès à l’eau courante et recourent alors aux enfants pour en alimenter le foyer. Ce manque limite l’implication des parents dans la réussite de leurs enfants. Enfin, si moins d’enfants abandonnent et qu’aucune autre classe n’est créée, il y a mécaniquement plus d’enfants par classe. Or, des classes plus chargées peuvent conduire à de moins bonnes performances car elles sont moins faciles à gérer pour un seul enseignant. De ce fait pour réussir, une action sur la demande d’éducation doit être accompagnée par un corolaire sur l’offre éducative.

Par ailleurs, si davantage d’élèves restent à l’école grâce à Tayssir et parmi eux, ceux qui auraient abandonné (du fait de leurs mauvais résultats) s’ils ne recevaient pas de transferts, alors les performances globales de l’école en seraient réduites (Filmer et Schady, 2009). La présence d’élèves en difficulté pourrait aussi avoir un effet sur les performances individuelles des autres élèves de la classe à travers un phénomène de peer effect. Certains élèves pourraient être tentés d’imiter les élèves qui ne parviennent pas à s’adapter à la pédagogie de la classe. A l’inverse, les élèves qui comprennent ce que l’école attend d’eux peuvent influencer et aider les élèves qui rencontrent davantage de problèmes.

Pour évaluer l’effet de Tayssir sur la réussite scolaire, nous utilisons les données issues du système d’information du Ministère de l’Éducation Nationale (MASSAR). La méthode de ciblage géographique du programme nous permet de comparer les résultats aux examens de fin de primaire dans les communes proches du seuil de ciblage afin d’isoler l’effet de Tayssir sur les communes ciblées. Nous comparons alors les communes ciblées dont le taux de pauvreté est compris entre 30 et 40% aux communes non-ciblées dont le taux de pauvreté est compris entre 20 et 30%[1].

L’utilisation des résultats à l’examen harmonisé régional de fin de primaire nous permet de comparer les élèves bénéficiaires et non bénéficiaires sur une évaluation commune des connaissances. En nous concentrant sur ce niveau, nous éliminons tous les biais qui pourraient être induits par des différences de niveau de difficultés des contrôles d’une école à l’autre. Dans le cadre de ces examens, les épreuves ne sont pas corrigées par les professeurs de chaque école concernée ce qui limite les biais induits par une correction plus ou moins subjective quand les copies ne sont pas anonymes. Bien qu’une commission nationale garantisse un niveau de difficulté homogène entre les différents examens régionaux, nous préférons utiliser une mesure relative des performances des élèves aux examens. Nous divisons alors le score individuel par le score moyen au sein de la région.

Nous trouvons que les garçons ont de moins bonnes notes à l’examen quand ils résident dans une commune ciblée par Tayssir (Tableau 3, Colonne 1, Panel B). Ce résultat reste valable même lorsqu’on contrôle pour le potentiel biais induit par la présence d’enfants qui sont restés scolarisés malgré leurs difficultés scolaires grâce à Tayssir (Tableau 3, Colonnes 2 à 5)[2].

Tableau 3.  Effet de Tayssir sur les résultats aux examens de fin de primaire

Tableau 3.  Effet de Tayssir sur les résultats aux examens de fin de primaire

Tableau 4.  Effet de Tayssir sur la taille des classes, le redoublement et les changements d’école

Tableau 4.  Effet de Tayssir sur la taille des classes, le redoublement et les changements d’école

Tout d’abord, ce résultat pourrait être inhérent à des « effets pervers » : certains parents, n’ayant pas bien compris les mécanismes d’implémentation de Tayssir pourraient adopter une stratégie inattendue, en demandant à leurs enfants de redoubler pour qu’ils continuent à bénéficier des transferts. Cette hypothèse est rejetée par le panel B du tableau 4. Hormis en première année du primaire, il ne semble pas y avoir plus de redoublements dans les écoles ciblées par Tayssir. Les tableaux 4 et 5 soutiennent plutôt l’hypothèse selon laquelle l’effet négatif de Tayssir sur les performances scolaires serait expliqué par son effet sur la taille des classes. Nous observons dans le panel A du tableau 4 que Tayssir a effectivement conduit à une augmentation de la taille des classes dans les communes bénéficiaires (Panel A). Le tableau 5 confirme que les garçons performent moins bien à l’examen quand ils appartiennent à des classes plus grandes. Le panel C du tableau 4 rejette l’hypothèse selon laquelle l’augmentation de la taille des classes dans les communes Tayssir serait lié à un phénomène de migration selon lequel les enfants d’écoles non ciblées auraient changé d’école pour bénéficier du transfert. Ainsi, l’effet négatif de Tayssir sur les performances étudiées s’explique principalement par la réduction globale de l’abandon scolaire, à laquelle il conduit. En poussant davantage d’enfants à rester scolarisés, le programme a ajouté une pression supplémentaire sur les ressources éducatives déjà en place. Ce résultat rejoint celui évoqué plus haut selon lequel le programme Tayssir n’a pas été suffisamment accompagné d’une amélioration de l’offre éducative.

Tableau 5.  Effet de la taille des classes sur les performances à l’examen de fin de primaire

Tableau 5. Effet de la taille des classes sur les performances à l’examen de fin de primaire

Tableau 6. Impact de Tayssir sur les dépenses d’enseignement et des loisirs.

Tableau 5. Effet de la taille des classes sur les performances à l’examen de fin de primaire

Nos résultats contribuent à expliquer le mauvais classement du Maroc dans les évaluations internationales de connaissances des élèves telles que TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) en 2015 ou PISA (Program for International Student Assessment) en 2018.

Dans la continuité de la réflexion menée pour mettre en exergue les effets réels de Tayssir, nous avons jugé opportun de vérifier si les enfants arrivent à bénéficier du transfert reçu par le chef du ménage. En d’autres termes, cela revient à répondre au questionnement suivant : est-ce que toute politique qui cible les ménages pauvres aurait des retombées bénéfiques sur leurs enfants ?

Pour y répondre, les dépenses d’enseignement et des loisirs par individu scolarisé se présentent comme un indicateur pertinent pour capter le bénéfice tiré par l’enfant dans les ménages bénéficiaires du programme. À travers une comparaison entre les bénéficiaires et les non-bénéficiaires qui présentent les mêmes caractéristiques observables (obtenus grâce à un appariement), nous remarquons que Tayssir ne parvient pas à modifier l’effort que fournissent les ménages pour l’éducation de leurs enfants (tableau 6). Ceci peut-être interpréter comme une insuffisante implication des parents. D’où l’intérêt de notre troisième réflexion qui porte sur le rôle de l’implication des parents dans les performances scolaires de leurs enfants.

Implication parentale et performances scolaires

Parmi les facteurs explicatifs des limites mentionnées au niveau des indicateurs scolaires, nous pensons à l’insuffisance d’une réelle implication des parents, c’est à la vérification de cette intuition que cette section est consacrée. La question nous semble pertinente car si une faible implication compromet la réussite scolaire, cette dernière conduit souvent à l’abandon (Diagne, 2010). Ainsi à terme, mêmes les résultats obtenus à ce niveau risquent à terme d’être compromis.

Figure 2 : Attitudes des parents concernant la vie scolaire de leurs enfants

Figure 2 : Attitudes des parents concernant la vie scolaire de leurs enfants

En se basant sur l’édition 2015 des enquêtes TIMSS, l’intérêt de cette question est d’abord mis en exergue à travers une analyse comparative à l’échelle internationale, qui montre que l’écart de performances entre les élèves marocains et leurs homologues de la région MENA pourraient être dû à la faible implication des parents. À titre illustratif, seulement 52% des parents marocains demandent quotidiennement si leurs enfants ont fait leurs devoirs scolaires (Figure 2). Cette proportion demeure faible en comparaison avec d’autres pays réalisant de meilleures performances comme le Kazakhstan (91%), la Turquie (83,2%) et les Émirats arabes unis (73,3%).

Ce constat nous a conduits à vérifier empiriquement l’effet causal de l’implication parentale sur les performances scolaires des élèves pour le cas du Maroc. Pour mesurer cette caractéristique parentale, nous nous basons sur la dimension «parents-enfant à domicile » illustrée dans le modèle théorique développé par Epstein (2011). Plus précisément, nous tentons de capter cette relation par le biais de l’investissement parental en termes d’aide et de supervision des devoirs scolaires. Ainsi nous calculons un indice composite à partir de divers indicateurs de mesure de de l’implication parentale, en appliquant une Analyse des Correspondances Multiples (ACM).

Étant donné que la nature des données disponibles impose l’utilisation d’un modèle d’analyse à structure hiérarchique, nous recourons à un modèle multiniveaux qui confirme que l’implication des parents exerce un impact positif et significatif sur les performances des élèves. En outre, nous arrivons à une conclusion plus intéressante : l’effet de l’implication parentale est plus accentué parmi les plus pauvres (tableau 7).

Tableau 7. Effet de l’implication parentale selon le niveau de vie

Tableau 7. Effet de l'implication parentale selon le niveau de vie

À la lumière de ces enseignements, nous suggérons que les décideurs publics cherchent à pallier l’insuffisant engagement des parents, notamment chez les moins éduqués. Car si le fait d’être engagé ou pas est considéré comme un choix chez les parents éduqués, il apparaît comme une fatalité chez les non éduqués.

Conclusion

Globalement notre recherche a révélé que la réussite d’un système éducatif est complexe, en particulier elle montre que les aides financières ne peuvent suffire à elles seules. Elles doivent être accompagnées de mesures de renforcement de l’offre éducative d’un côté et des actions sur la demande.

La référence aux expériences d’autres pays nous conduit à recommander par exemple la mise en place de politiques complémentaires telles que des programmes ciblés de soutien scolaire. Dans ce sens, nous évoquons l’expérience du programme indien «Multilingual Education Intervention ». Celui-ci est destiné aux filles qui ne maitrisent pas d’autres langues que celle pratiquée au foyer. Une fois à l’établissement scolaire, ces filles se trouvent face à un handicap en raison de la langue d’enseignement non maitrisée. L’exemple de ce programme illustre une meilleure correspondance entre la raison de l’abandon scolaire (la langue d’enseignement) et la mesure introduite pour y remédier. Cette logique pourrait être transposée au contexte marocain, où certains enfants issus des familles berbères se trouvent face à un vrai obstacle lié à l’arabe classique utilisé comme langue d’enseignement (Van Staden et al, 2016 ; Sylva, 2014).

Au niveau de la recherche, il importe de s’efforcer de comprendre les motivations profondes des parents et l’intérêt qu’ils portent à l’éducation de leurs enfants, avec idéalement une distinction des genres.

Par Fouzi Mourji, Marouane Ikira et Claire Ricard, Equipe de recherche en Econométrie Appliquée, Université Hassan II-Casablanca

Références 

Attanasio O., Emla F., Ana G., Martha I.G., Costas M., & Alice M., (2010). Children’s Schooling and Work in the Presence of a Conditional Cash Transfer Program in Rural Colombia. Economic Development and Cultural Change, 58(2): 181-210.

Avitabile, C., Cunha, J. M., & Meilman Cohn, R. (2019). The Medium Term Impacts of Cash and In-kind Food Transfers on Learning. Available at SSRN 3501896.

Bastagli, F., Hagen-Zanker, J., Harman, L., Barca, V., Sturge, G., Schmidt, T., and Pellerano, L. (2016). Cash transfers: what does the evidence say. Overseas Development Institute Report.

Behrman, J. R., S. W. Parker, and P. Todd (2019): “Impacts of PROSPERA on Enrollment, School Trajectories, and Learning,”.

Benhassine, N., F. Devoto, E. Duflo, P. Dupas, & V. Pouliquen (2015). Turning a shove into a nudge? A ‘labeled cash transfer’ for education. American Economic Journal: Economy Policy. 7(3): 86–125.

Cardoso E. and A. Portela Souza, (2004). The Impact Transfers on Child Labor and School Attendance in Brazil. Working paper, Vanderbilt University, n°0407.

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Diagne, A. (2010). Pourquoi les enfants africains quittent-ils l’école? Un modèle hiérarchique multinomial des abandons dans l’éducation primaire au Sénégal. L’Actualité économique, 86(3), 319–354.

Filmer, D. and N. Schady (2009): School Enrollment, Selection And Test Scores: School Enrollment, Selection And Test Scores, The World Bank.

——— (2014): “The medium-term effects of scholarships in a low-income country,” Journal of Human Resources, 49, 663–694.

Glewwe, P. & Kassouf, A.L. (2012). The Impact of the Bolsa Escola / Familia Conditional Cash Transfer Program on Enrollment, Dropout Rates and Grade Promotion in Brazil. Journal of Development Economics, 97(2): 505-517.

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McNeal, R.B. (1999). Parental involvement as social capital: Differential effectiveness on science achievement, truancy, and dropping out. Social Forces, 78,117-144.

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Sylva, K. (2014) The role of families and pre‐school in educational disadvantage, Oxford Review of Education, 40(6), 680–695.

Van Staden, Surette, Bosker, Roel, & Bergbauer, Annika. (2016). Differences in achievement between home language and language of learning in South Africa: Evidence from prePIRLS 2011. South African Journal of Childhood Education, 6(1), 1-10.


[1] Voir Gazeaud, J. & Ricard, C. (2021) Conditional Cash Transfers and the Learning Crisis : Evidence from Tayssir Scale-up in Morocco. pour plus de détails sur notre méthode d’estimation

[2] Voir Gazeaud, J. & Ricard, C. (2021) Conditional Cash Transfers and the Learning Crisis : Evidence from Tayssir Scale-up in Morocco. pour plus de détails sur la manière dont nous contrôlons pour le potentiel biais de sélection induit par la réduction de l’abandon scolaire grâce à Tayssir