Résumé de la thèse
La transformation structurelle est un phénomène bien identifié à la fois par les spécialistes de l’histoire des faits économiques et sociales, notamment parmi ceux ayant étudié l’épisode de la révolution industrielle, et les économistes du développement. Elle est mise au cœur de leur schéma explicatif de la dynamique économique et des transformations majeures, anciennes et présentes, des économies des pays « développés ». En effet, la littérature abonde des travaux sur le lien entre la migration des moyens de production d’une activité à une autre et la croissance économique. Ils sont quasi-unanimes sur les bienfaits de la transformation structurelle et son inéluctabilité pour qu’un pays puisse réussir son développement économique.
Contribuant aux travaux de recherches portant sur les bienfaits de la transformation structurelle, en l’occurrence sur la dimension sociale (l’égalité des revenus), le premier chapitre de la thèse porte sur le test de la courbe de Kuznets en mettant en exergue les biais qu’elle comporte. L’hypothèse sous-jacente stipule que le changement structurel creuse les inégalités des revenus dans les premières phases de développement. Pour un échantillon de pays de niveaux de développement différents, sur la période 1990-2019, nous exploitons les données macroéconomiques et sociales contenues dans plusieurs bases, notamment celles des World Bank Indicators et World Income Inequality Database. Les résultats nous conduisent à réfuter la thèse de Kuznets sur les effets inégalitaires de la transformation structurelle quand celle-ci est axée sur l’industrie, et ils la confirment quand la transformation est basée sur le secteur des services. Ensuite, en identifiant les mécanismes du marché du travail interne des pays constituant le panel retenu qui, en les croisant avec les parts d’emploi sectorielles, les résultats montrent que l’effet égalitaire de l’industrie est amplifié si les écarts éducatifs et le gap entre hommes et femmes sont réduits.
Cela met en exergue le rôle du processus de l’industrialisation, outre qu’il stimule la productivité, il améliore l’économie en général et participe à la stabilité sociale. Notons enfin que nos conclusions sont nuancées et stylisées grâce à une série d’estimateurs économétriques, notamment lors de l’application du modèle à effets fixes et la technique GMM-System qui a permis de mieux prendre en compte le problème d’endogénéité.
Pour approfondir cette analyse dans le cas du Maroc, le deuxième chapitre, basé sur une approche sectorielle, en l’occurrence l’analyse input-output, identifie les secteurs qui, selon plusieurs critères, jouent un rôle prépondérant dans l’économie marocaine.
Nous mobilisons alors l’approche développée par Hirchman (1958) pour classer les branches d’activité qui ont le plus d’effets d’entrainement sur les branches en amont via leurs consommations intermédiaires (intégrées par les achats) et en aval à travers leurs productions (intégrées par les ventes). Les techniques d’hiérarchisation appliquées, bien qu’inspirées des travaux d’Aujac (1960), sont plus sophistiquées.
Nos résultats montrent, sur la base de traitements sur les tableaux d’entrées sorties de 2007 et de 2018, que les branches industrielles qui exercent de forts effets d’entraînements en amont et en aval n’assurent pas une contribution importante dans le produit intérieur brut (8,38% en 2018), ce qui traduit un déséquilibre de la structure productive marocaine. De plus, les branches industrielles qui sont fortement intégrées selon le critère de la production ne sont pas celles qui contribuent le mieux fiscalement et distribuent le plus de salaires (la part des salaires dans la valeur ajoutée est moins élevée).
Nous sommes alors conduits dans le troisième chapitre à étudier les déterminants du partage des richesses, notamment la part des salaires (ou du travail) dans la valeur ajoutée des entreprises industrielles marocaines.
Pour ce faire, nous exploitons les données de l’enquête de la banque mondiale sur les entreprises. L’estimation montre que la croissance de la productivité totale des facteurs et l’accroissement de l’intensité capitalistique ont constitué ensemble les plus forts facteurs explicatifs de la diminution de la part du travail. Ce résultat confirme l’idée, avancée dans de nombreuses études, selon laquelle la diffusion des technologies d’information et de communication a permis des avancées sans précédent dans les domaines de l’innovation et de l’invention de nouveaux biens d’équipement et processus de production, ce qui a accru la productivité, mais a aussi favorisé le remplacement des travailleurs par des machines dans certains types d’emploi, notamment ceux caractérisés par des tâches répétitives. Et la valorisation du travail (qualifié) n’a pas compensé la réduction des volumes globaux de l’emploi.
Il apparaît également, à partir des résultats de nos estimations, que la réduction de la part du travail est inhérente à l’intensification de la concurrence nationale et internationale ainsi qu’au désengagement capitalistique de l’État. Le canal de transmission de l’effet de ces deux facteurs provient de la baisse induite du pouvoir de négociation des salariés. Certaines études montrent qu’en plus de réduire la rente que se partagent employeurs et salariés, l’accroissement de la concurrence limite le pouvoir de négociation des travailleurs, surtout des travailleurs peu qualifiés, et par conséquent la possibilité qu’ils ont pour maintenir leur part dans la richesse produite. Par ailleurs, l’augmentation des flux d’importations favorise la substitution du capital (souvent consistant en IDE) au travail (celui entre des travailleurs nationaux) contrairement aux exportations, tandis que les investissements directs de l’étranger n’ont aucun impact significatif sur la politique salariale des entreprises.
En guise de conclusion nous soulevons la question du rôle des décideurs publics face au recul de la part de la rémunération du travail et des possibles modalités d’intervention.