Tayssir est un programme de transfert monétaire conditionné, introduit au Maroc pour inciter les parents à scolariser leurs enfants (voir billet n°16)[1]. Ses concepteurs ne lui attribuent explicitement aucune attache à des fondements théoriques particulières. Ils le veulent déraciné de tout référentiel normatif. Les arguments avancés au moment de sa conception et de son évaluation lors de la phase pilote relèvent à la fois du caractère opérationnel du programme et de son efficacité « approuvée » par une expérimentation sur le terrain, et du fait que des mesures similaires ont été implémentées ailleurs.
Le fait que cette mesure ait été adoptée simultanément par plusieurs pays ne prouve pas forcément son efficacité dans le cas du Maroc, mais il reflète simplement la promotion que les institutions internationales en font ici et là et l’appui (financier et notamment « scientifique ») qu’elles lui apportent. Cet argument ne tient pas et peut être facilement réfuté voire inversé : ce n’est pas parce que les politiques de transferts monétaires et de ciblage individualisé se généralisent que les institutions internationales les recommandent mais c’est plutôt parce qu’elles les recommandent vivement que ces politiques gagnent du terrain dans les pays en développement. Autrement, pour que cet argument ne soit pas tautologique, il faudrait accepter des postulats restrictifs et non conformes aux faits, selon lesquels les préférences des parents d’élèves sont partout uniformes, comme si ce que représente l’éducation des enfants à leurs yeux transcende les cultures, l’espace et le temps. Ce qui est très peu probable sauf dans le cas où les parents se comporteraient comme des « montres anthropologiques » (un terme utilisé par P. Bourdieu (1997) pour décrire l’Homo economicus[2]) dont la conduite est indépendante de la diversité de leurs contextes, de leurs conditions sociales et de leurs états psychologiques.
En revanche, les arguments de l’opérationnalité et de l’efficacité sur lesquels s’appuient les défenseurs des politiques de ciblage monétaire et individualisé sont plus recevables et méritent qu’on s’y attarde. D’abord, le caractère opérationnel du ciblage monétaire est sujet à caution car il doit surmonter des difficultés pratiques insolubles de définition du seuil à partir duquel une personne est éligible à l’aide (une difficulté qui se dissipe si l’aide est « très » dégressive, ce qui par ailleurs complique considérablement son implémentation), du montant de l’aide à partir duquel un changement des comportements peut se déclencher, et de présence de passagers clandestins (dit également, biais d’inclusion des non éligibles[3]).
Ensuite, il y a l’argument de l’efficacité des aides monétaires qui, elle, est fondée sur un exercice d’interpellation des informations qui remontent du terrain, en recourant soit aux techniques de l’expérimentation aléatoire pour une évaluation souvent ex-ante de la mesure (Benhassine, N. , F. Devoto, E. Duflo, P. Dupas, and V. Pouliquen, 2015), soit aux études d’impact ex-post à partir des données d’enquête (Ikira, 2021). Dans les deux cas, la démarche se veut positive et dans les deux cas il n’est souvent pas question de comparer la portée de cette mesure par rapport à d’autres mesures alternatives.
Cet exercice d’évaluation des politiques publiques est certes important pour rectifier en permanence le tir et corriger les insuffisances soulevées, mais la genèse de ces politiques et le cheminement intellectuel qui conduit à les sélectionner parmi tant d’autres mesures possibles l’est également et conditionne ses chances de réussite. Dans ce sens, le choix de la mise en place d’un programme de ciblage monétaire individualisé comme Tayssir, à la place d’autres mesures collectives et/ou non monétaires, requièrent au préalable certaines réponses, qu’elles soient annoncées explicitement ou non, aux questions suivantes : le comportement des individus est-il plus sensible et réactif à l’argent qu’à d’autres mobiles (mimétisme, coutume, réciprocité, rapports sociaux, loi, morale, émotions, etc.) ? Le rapport à l’argent est-il le même quel que soit le bénéficiaire du programmes Tayssir ? En quoi les transferts monétaires sont plus efficaces que les transferts en nature ? En quoi également le ciblage individualisé serait préférable à une autogestion collective ou à des services publics accessibles à tous (soutien scolaire, éducation des parents à la psychologie de l’enfant, etc.) ? Et comment envisage-t-on le passage d’une mesure qui vise les individus, pris séparément, à une amélioration du niveau de l’éducation à l’échelle du pays ?
Il va sans dire que les réponses à ces questions nécessitent une mobilisation d’autres disciplines (psychologie, anthropologie, histoire, sociologie) que l’économie et requièrent des compromis politiques ainsi qu’une réelle immersion de terrain menée par les chercheurs qui le connaissent (l’« industrie » de l’expérimentation aléatoire, retenue pour évaluer le programme Tayssir, risque de ne pas pouvoir répondre à cette dernière préoccupation (Jatteau, 2016)). Dans ce contexte, la solution du ciblage monétaire individualisé, propulsée par l’économie du développement dominante face au problème du déficit d’éducation ou de la pauvreté dans les pays en développement s’avère d’emblée simpliste (voir la section suivante) et simplificatrice des raisons profondes de ces phénomènes. J. M. Servet (2018) rapporte que dans son allocution lors de la conférence annuelle de la Royal Economic Society de 2016, E. Duflo, figure emblématique de cette économie du développement, indique que ses recherches portent uniquement sur « les effets des causes » et non sur les causes elles-mêmes. Ce qui revient à traiter les symptômes de la maladie sans chercher à la guérir.
Pour contourner les questions posées plus haut, la démarche positive et l’expérimentation en particulier, n’auront pas d’autres choix que : i/ d’évaluer toutes les mesures alternatives au ciblage monétaire individualisé pour conclure au bout de l’exercice à la supériorité de celui-ci ; ii/ d’élargir le champs couvert par l’expérimentation à plusieurs échantillons afin de limiter la portée de problèmes que posent la généralisation de la mesure à l’ensemble de la population pour que les mêmes effets attendus sur le plan des comportements individuels puissent être observés à l’échelle macroéconomique ; iii/ de prévoir toutes les externalités que risquent d’engendrer le programme sur d’autres comportements et activités si l’on veut mesurer correctement l’effet final du programme (après bouclage macroéconomique). Or ceci n’est pas possible à cause de ses coûts élevés. Du coup, bien qu’elle a précédé la mise en place du programme Tayssir, l’expérimentation ne peut alors être mobilisée pour justifier la genèse du programme mais simplement évaluer son impact limité dans un contexte particulier (celui de l’expérimentation).
De ce fait, le choix de la « bonne » incitation (le ciblage monétaire ici) parmi tant d’autres possibilités ne peut se faire sans se rapporter à un référentiel théorique clair en mesure de répondre aux questions soulevées plus haut et de définir lequel des programmes possibles est optimal et sous quelles conditions.
De l’origine théorique du ciblage monétaire direct et de Tayssir en particulier …
Le référentiel théorique qui débouche sur la recommandation de politiques du ciblage monétaire direct est celui de la microéconomie du développement dominante qui fait écho à la « nouvelle théorie du consommateur », initiée par G. Becker et K. Lancaster. Ce courant a progressivement pris la place qu’occupaient les grands récits sur le développement des années d’après-guerre et qui ont enrichi les schémas explicatifs du sous-développement en considérant, outre les aspects purement économiques, les dimensions politiques, culturelles, historiques, voire, des fois, géographiques. Tandis que pour ce courant de pensée, les causes du sous-développement sont à chercher uniquement au niveau des comportements calculateurs individuels des populations concernées.
D’après ses défenseurs, « il n’y a pas d’économie du développement au sens strict du terme, seulement de la bonne[4] microéconomie (empirique et théorique) qui prend les pays en développement comme sujet d’analyse » (Sadoulet, E. et J.L. Arcand, 1997). Seize ans plus tard, dans un état des lieux de la discipline, publié dans la même revue, la posture ne change pas et la supériorité du « moindre jeu » a été consacrée (De Janvry, A. et É., Sadoulet, 2013)[5].
Tayssir et les autres programmes basés sur le ciblage monétaire individualisé découlent de cette « nouvelle » économie du développement, celle qui se donne comme objet de recherche la quête de « bonnes » incitations individualisées. Comme si le sous-développement se mesurait au nombre de « mauvaises » incitations contenues au sein d’une économie! Selon cette approche, les agents économiques, pris individuellement, réagissent consciemment et quasi-uniquement aux incitations. Et comme ces dernières peuvent prendre plusieurs formes, il faut choisir parmi elles, les « bonnes » incitations, c’est-à-dire celles qui relèvent des arguments (revenu et prix) intervenant au niveau du programme d’optimisation d’une fonction d’utilité sous contrainte de revenus et dont les termes ne sont pas des produits finaux mais des combinaisons de ceux-ci avec le temps nécessaire pour leur consommation. Le temps chronologique étant limité, l’agent économique se trouve contraint, avant de prendre la moindre décision, à arbitrer entre allouer son temps au travail et en tirer un revenu ou bien le consacrer à la consommation des biens et services dont, en l’occurrence, l’éducation des enfants.
A titre d’exemple, entre préparer à diner chez soi et aller le prendre dans un restaurant, le choix d’un agent rationnel va d’autant plus pencher pour la deuxième option que le taux de salaire, multiplié par le temps nécessaire à la préparation du dîner, qui détermine le coût d’opportunité de la première option est supérieur aux revenus tirés du travail supplémentaire minorés du prix du repas au restaurant. Poussant le raisonnement plus loin et schématisant, la promotion de l’activité des restaurants passe alors, selon ce cadre d’analyse, soit par une hausse de la rémunération des heures du travail supplémentaire, soit par une baisse des prix des repas pris à l’extérieur. Les goûts, l’état psychique et la prédisposition à sortir ou à rester chez soi, le hasard du calendrier (anniversaire, match de foot, etc.), les préférences des compagnons, et les conditions de l’offre ne sont censés avoir aucun effet sur les choix de diner d’un agent rationnel : seul le calcul coût-bénéfice en termes monétaire qui compterait[6].
Pour Tayssir, la logique est plus ou moins similaire : la réduction, par le transfert d’argent aux parents, des coûts d’opportunité relatifs à l’éducation des enfants est censée inciter ces derniers à scolariser leurs enfants ou à faire en sorte qu’ils n’en sortent pas trop tôt. Sauf que, si on se réfère à l’analyse coût-bénéfice, elle-même, ces incitations ne peuvent agir sur le choix des parents que si les revenus futurs augmentent avec le niveau d’éducation de leurs enfants. Or, dans une économie en développement, gangrenée par la rente où la qualité de l’éducation laisse à désirer et où les inégalités renforcent le jeu de la reproduction sociale, un niveau d’éducation élevé n’est pas forcément synonyme d’une rémunération élevée comme le suppose la théorie du capital humain.
De ce fait, Tayssir semble être un choix de facilité : à défaut d’intervenir au niveau du rendement de l’éducation (deuxième volet de l’analyse coût-bénéfice) qui nécessite des réformes profondes de l’économie et une certaine rupture avec le système éducatif en place. Se focaliser alors sur Tayssir sans promouvoir les politiques qui améliorent le rendement monétaire marginal de l’éducation pourrait expliquer pourquoi celui-ci n’est au mieux qu’un instrument qui maximise le nombre d’enfants inscrits à l’école et non une mesure incitative pour un meilleur apprentissage et un développement des capacités cognitives des enfants. Et sans ces deux derniers aspects, maintenir les élèves sur les bancs de l’école risque de n’avoir aucun effet ni sur leur propre avenir ni sur le développement du pays (Brunet-Jailly, 2020). De fait, Tayssir ne fait que retarder pour plus tard l’abandon scolaire et accentuer un problème déjà existant : augmenter le nombre des diplômés chômeurs dont le diplôme ne reflète pas leurs compétences réelles (le mauvais classement des élèves marocains dans TIMSS en 2015 ou PISA en 2018 en est un signe précurseur) et, pour les chanceux qui finissent par décrocher un poste, les risques de sous-emploi et de déclassement devraient les guetter (Kabboul, G., M. Eddari, A. Ezzrari et F. Mourji, 2020).
Au-delà de ce cadre d’analyse standard, les facteurs agissant sur l’éducation des enfants sont multiples et interdépendants, et les transferts monétaires n’en constituent qu’un parmi les autres qui ne peuvent aboutir à infléchir les comportements des parents dans le sens souhaité que dans deux situations. La première est celle qui fait le postulat simpliste et peu réaliste selon lequel le manque d’argent est le principal frein à la demande d’éducation. Or une enquête qualitative semi-directive sur le terrain[7], que nous avons menée auprès des ménages ruraux pauvres dans la province de Médiouna, nous a révélé, sans surprise, que le rapport à l’éducation des enfants est ambivalent. Les facteurs qui l’influencent s’imbriquent et relèvent aussi bien de la décision souveraine des parents (justifiée tantôt par l’intérêt de l’enfant tantôt par la réalisation de soi) que des facteurs externes indépendants (ignorance de la psychologie de l’enfant chez les parents, environnement familial et voisinage, présence d’une école privée à proximité, manque de communication avec les institutions et les enseignants, offre éducative et infrastructures d’accompagnement insuffisantes, considérations morales et éthiques, etc.). Le niveau de vie ne ressort que comme l’un de ces différents aspects, et qui n’est pas cité comme la principale entrave à l’éducation des enfants.
La deuxième situation où les transferts monétaires peuvent être utiles c’est lorsque les parents se comportent en homo economicus et intériorisent les hypothèses de base contenues dans le modèle standard de sorte à ce que la complexité de la réalité se dissout et le processus de décision se conforme à la mécanique décrite dans la théorie dominante (Lazear, 2000). Ces hypothèses sont principalement l’individualisme méthodologique et la rationalité optimisatrice. Elles ont été discutées et critiquées abondamment dans la littérature.
Ce qui va nous intéresser dans la suite, ce sont plutôt les implications pratiques de ces hypothèses. Bien que, à la base, l’écart entre celles-ci et la réalité observée n’autorise pas la remise en cause de la cohérence interne de la construction théorique qui en découle (c’est le propre de la démarche déductive), le passage de l’élégance de la pensée et de sa formalisation mathématique à des recommandations opérationnelles qui agissent sur la vie des gens risque de conduire à des résultats contre-productifs et à des comportements non souhaités, en décalage avec l’objectif initial du programme.
…à pourquoi ce ciblage monétaire direct et Tayssir en particulier ont plus de chance de ne pas fonctionner ?
Dans son livre intitulé Les stratégies absurdes, l’économiste M. Beauvallet (2009) rapporte, parmi d’autres exemples d’incitations monétaires inadaptées, qu’un jour un directeur d’un centre de transfusion sanguine, voulant augmenter ses stocks a eu la « peu » brillante idée d’instaurer une prime pour les donateurs du sang. Le résultat a été contre-productif : les donneurs ne se sont pas révélés des homo economecus, adeptes du calcul monétaire coût-bénéfice, et ils ont déserté son centre de transfusion sanguine. Le directeur en question, comme pour les micro-économistes du développement adeptes du ciblage monétaire face à la pauvreté et l’abondant scolaire, avait mal évalué le vrai mobile derrière l’acte de générosité, de responsabilité civile et d’empathie des donateurs du sang.
Outre le risque que ces programmes conformes au raisonnement de la micro-économie du développement dominante soient contre-productifs, il y a également le risque qu’au moment de leur implémentation les bénéficiaires les utilisent pour d’autres fins que celles auxquelles ils ont été destinés initialement. L’histoire la plus médiatisée à ce propos est celle du détournement d’usage des moustiquaires imprégnés d’insecticide distribués gratuitement dans la lutte contre le paludisme en Afrique. Les bénéficiaires leur ont trouvé d’autres usages (dans la pêche, pour fabriquer des poulaillers ou même pour en faire des filets de but !) en phase avec ce qu’eux-mêmes ont jugé pertinent[8].
Des comportements contre-productifs et des usages détournés des mesures incitatives sont tout à fait envisageables également dans le cas du ciblage monétaire individualisé de la pauvreté et du programme Tayssir en particulier. A propos de ce dernier, nous commençons à avoir déjà les premiers résultats d’études d’impact pointant du doigt son inefficacité. M. Ikira (2021), appliquant l’analyse d’impact pour estimer les résultats de Tayssir, démontre que l’objectif élémentaire (le plus intuitif et qui va de soi) du programme, celui du maintien des élèves à l’école, n’est atteint que pour les couches sociales les moins défavorisées, soient les ménages qui ont le moins besoin d’aide monétaire !
Et bien sûr, selon les défenseurs de ce courant de pensée, les causes de l’inefficacité de ce genre de mesures sont à chercher du côté des modalités d’implémentation (faiblesse des institutions, aides insuffisantes, etc.) ou des erreurs de jugement des bénéficiaires, mais jamais du côté de sa philosophie sous-jacente ! Et comment peut-on remettre en cause les soubassement théoriques d’une démarche qui se déclare (faussement) a-théorique !
Par Yasser Y. Tamsamani, Docteur en économie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Bibliographie
Beauvallet, M. (2009). Les Stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux. Éditions du Seuil.
Benhassine, N. , F. Devoto, E. Duflo, P. Dupas, and V. Pouliquen. (2015). Turning a Shove into a Nudge? A « Labeled Cash Transfer » for Education. American Economic Journal: Economic Policy, 7(3).
Bourdieu, P. (1997). Le champ économique,. In : Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 119.
Brunet-Jailly, J. (2020). Education : seule la qualité compte! Revue réflexions économiques(1).
De Janvry, A. et É., Sadoulet. (2013). Soixante ans d’économie du développement : qu’avons-nous appris pour le développement économique ? Revue d’économie du développement, 21(2).
Duflo, E. (2009). Expérience, science et lutte contre la pauvreté. Fayard, Paris.
Egrot, M et al. (2018). Reports of long-lasting insecticidal bed nets catching on fire: a threat to bed net users and to successful malaria control? Malaria Journal, 13(247).
Ikira, M. (2021). Évaluation de la politique en matière d’éducation et intérférence des caractéristiques socioéconomiques : cas du programme Tayssir. Thèse soutenue à l’Université Hassan II de Casablanca.
Jatteau, A. (2016). Faire preuve par le chiffre ? Le cas des exprimentations aléatoires en économie . Thèse de doctorat soutenue à l’ENS Cachan.
Kabboul, G., M. Eddari, A. Ezzrari et F. Mourji. (2020). Le déclassement des jeunes sur le marché du travail marocain. Revue réfléxions économiques(1).
Lazear, E. (2000). Economic Imperialism. Quarterly Journal of Economics, 1(115).
Sadoulet, E. et J.L. Arcand. (1997). Microéconomie du développement : Quo Vadis ? Revue d’économie du développement(2).
Servet, J. M. (2018). L’économie comportementale en question. Paris: Editions Charles Léopard Mayer.
The World Bank. (2015). Mind, society and behavior. Washington: world development report.
[1] Je remercie M. Audibert et F. Mourji pour leur lecture respective et les échanges qu’on ait eu autour de la thématique de ce billet.
[2] Conscient du cadre restrictif que représente l’homo economicus pour comprendre le comportement humain, la Banque mondiale a consacré son rapport phare sur le développement dans le monde de (2015) à la question du processus de prise de décision des bénéficiaires des programmes de développement. Dans sa première partie, le rapport élargit le champ des facteurs expliquant les réactions des individus à des incitations à des aspects psychologiques, sociaux et moraux. Sauf que, dans la deuxième partie du rapport où plusieurs exemples concrets de politiques de développement sont présentés pour illustrer une telle ouverture enrichissante, on retrouve certains traits de l’homo economicus et de la microéconomie du développement dominante (individualisme méthodologique, primauté des incitations monétaires, louange à l’épargne, etc.). En effet, on lit clairement dès les premières pages du rapport que « The new approaches do not replace standard economics. But the new approaches enhance our understanding of the development process and the way development policies and interventions can be designed and implemented ».
[3] Après une période du ciblage territorial des communes pauvres, Tayssir a été généralisé à partir de la rentrée scolaire 2018 à tous les parents détenteurs de la carte RAMED. On peut voir dans cette généralisation une correction des biais d’inclusion et d’exclusion inhérents au ciblage territorial. Mais, en réalité, celle-ci ne fait que déplacer le problème. Au début, le risque était de financer des non pauvres habitant des communes pauvres et d’exclure de l’aide des pauvres résidant dans des communes non pauvres. Maintenant, le risque est de subventionner les non pauvres ayant réussi à avoir la carte RAMED, au détriment des pauvres qui ne sont pas inscrits ou réinscrits au RAMED.
[4] C’est l’auteur de ce billet qui souligne.
[5] Un son de cloche proche s’entend du côté de l’approche expérimentale. E. Duflo (2009) stipule que « le modèle macroéconomique se construit comme un mécano, à partir des blocs microéconomiques ». Le rapprochement entre cette branche de la démarche empirique et les fondements théoriques de la nouvelle théorie du consommateur s’observe également à ce niveau.
[6] Quand bien même des facteurs psychologiques ou sociaux peuvent intégrer la fonction décisionnelle de l’homo economicus, comme dans le cas du rapport de la Banque mondiale de 2015, ils ne sont considérés qu’à la lumière des gains potentiels latents qu’ils peuvent engendrer. Ainsi, les interactions entre les membres de la société se réduisent à des rapports intéressés, d’une manière ou d’une autre, qui devraient assurer à chacun suffisamment de satisfaction matérielle ou/et symbolique pour l’inciter à « bien » réagir aux programmes déployés. Ces facteurs n’ont aucune finalité intrinsèque.
[7] Cette enquête a été menée à la veille de la crise sanitaire avec la participation d’un groupe d’étudiants constitué de Nour, Salma et Marouane que je remercie ici. L’objectif était de mieux préparer le questionnaire pour une enquête quantitative plus large centrée sur la question de la valeur de l’éducation aux yeux des marocains. Malheureusement, la crise sanitaire nous a obligé de reporter à une date ultérieure ce travail.
[8] L’approche anthropologique nous éclaire grandement en ce sens. Des anthropologues se sont en effet penchés sur l’acceptabilité des programmes et l’utilisation des innovations proposées aux bénéficiaires. Ils mettent en évidence une utilisation « par dérivation et procuration ». Ces études sont très instructives car elles mettent en évidence le fait qu’une conception de programmes née sans se préoccuper des véritables attentes potentielles des bénéficiaires ne peut qu’échouer (Egrot, M et al., 2018).