Auteur/autrice : refeco

  • Réflexion sur la situation de la femme au Maroc : l’apport de quelques analyses économiques , par Fouzi Mourji et Abdeljaouad Ezzrari

    Réflexion sur la situation de la femme au Maroc : l’apport de quelques analyses économiques , par Fouzi Mourji et Abdeljaouad Ezzrari

    Cette réflexion s’appuie sur une étude publiée dans un ouvrage édité par Siham Benchekroune en 2016 et consacré à l’héritage des femmes au Maroc.
    Nous avons tenté d’utiliser les outils de la science économique pour apporter un éclairage au thème central traité dans l’ouvrage précité. Il s’est agi de mener quelques réflexions pour contribuer à une thématique qui relève davantage de questions juridiques, sociales, et aussi, force est de le constater, spirituelles ?
    Dans ce papier (Document de travail 02) nous choisissons d’étudier la situation de la femme et les chances d’épanouissement qui lui sont offertes ou permises dans notre société. Soulignons que ces questions ne sont pas exclusives ni de nos contrées, ni propres aux “questions de l’heure”. Sans être exhaustifs, nous évoquerons à titre d’exemples, le travail d’Elisabeth Badinter (1986) qui analyse les positions réciproques et les relations Hommes-femmes dans l’histoire de l’humanité. Elle rejoint, d’un certain point de vue, Simone de Beauvoir (1949) qui conclue que les caractéristiques des dites relations ainsi que le partage des tâches relèvent davantage de l’ordre du “culturel” et non du “naturel”. Dans l’étude précitée, E. Badinter mène une analyse anthropologique fort documentée et excellemment argumentée et parvient à mettre en lumière trois phases dans l’évolution des relations hommes-femmes depuis la préhistoire. Nous serions ainsi passés d’une première phase où le vécu social révélait une relation de “l’Un et l’Autre” à une phase caractérisée par une tendance à “l’un sans l’autre” pour parvenir au vécu actuel, au moins dans certaines sociétés, de “l’Un est l’Autre”.
    D’autres analystes, bien moins “littéraires” ou moins “contingents”, s’appuyant sur des méthodes d’approches alternatives, avec un pragmatisme différent, parviennent à des conclusions convergentes : il s’agit par exemple des tenants de l’école de Gary Becker, prix Nobel de Sciences économiques en 1992, et qui, selon nous, expliquent les bases économiques des comportements sociaux. En l’occurrence, elles inspirent la réflexion sur les enjeux des attributions des femmes et des hommes ainsi que les analyses pour une appréciation des situations des unes et des autres (Becker, 1957).
    Dans cette étude, nous analysons la situation des femmes au Maroc, aux divers stades de l’existence humaine. Après avoir levé quelques ambiguïtés d’ordre démographique, pour montrer que la répartition des effectifs Hommes – Femmes ne révèle pas de prédominance, nous étudions la situation différenciée des filles et des garçons face à l’éducation et à la santé ; deux domaines fondamentaux pour appréhender la qualité de leur dotation en capital humain et au-delà, pour apprécier la valorisation inégalitaire. L’idée consiste à apprécier à ce stade de la vie, l’inégalité des chances et des “capabilities” au sens de Amartya Sen (1980).
    Dans un second temps, nous nous intéressons à une seconde étape de la vie, et analysons la situation des femmes et des hommes sur le marché du travail. Nous traitons alors de leur participation sur ce marché et ensuite pour celles et ceux qui y participent, à la valorisation (différenciée ?) du travail accompli. L’analyse de la gestion du temps, premier objet de la troisième question abordée, est effectuée à la fois comme cause et conséquence de la nature du comportement sur le marché du travail, mais constitue également une dimension alternative de l’appréhension des inégalités de genre, y compris aux deniers de l’existence.

  • Document de travail 01 : Analyse économique de la situation de la Femme au Maroc

    Document de travail 01 : Analyse économique de la situation de la Femme au Maroc

    Par :
    Fouzi Mourji & Abdeljaouad Ezzrari

    Résumé :

    Cette réflexion s’appuie sur une étude publiée dans un ouvrage édité par Siham Benchekroune en 2016 et consacré à l’héritage des femmes au Maroc.
    Nous avons tenté d’utiliser les outils de la science économique pour apporter un éclairage au thème central traité dans l’ouvrage précité. Il s’est agi de mener quelques réflexions pour contribuer à une thématique qui relève davantage de questions juridiques, sociales, et aussi, force est de le constater, spirituelles ?

    Dans ce papier, nous choisissons d’étudier la situation de la femme et les chances d’épanouissement qui lui sont offertes ou permises dans notre société. Soulignons que ces questions ne sont pas exclusives ni de nos contrées, ni propres aux “questions de l’heure”. Sans être exhaustifs, nous évoquerons à titre d’exemples, le travail d’Elisabeth Badinter (1986) qui analyse les positions réciproques et les relations Hommes-femmes dans l’histoire de l’humanité. Elle rejoint, d’un certain point de vue, Simone de Beauvoir (1949) qui conclue que les caractéristiques des dites relations ainsi que le partage des tâches relèvent davantage de l’ordre du “culturel” et non du “naturel”. Dans l’étude précitée, E. Badinter mène une analyse anthropologique fort documentée et excellemment argumentée et parvient à mettre en lumière trois phases dans l’évolution des relations hommes-femmes depuis la préhistoire. Nous serions ainsi passés d’une première phase où le vécu social révélait une relation de “l’Un et l’Autre” à une phase caractérisée par une tendance à “l’un sans l’autre” pour parvenir au vécu actuel, au moins dans certaines sociétés, de “l’Un est l’Autre”.

    D’autres analystes, bien moins “littéraires” ou moins “contingents”, s’appuyant sur des méthodes d’approches alternatives, avec un pragmatisme différent, parviennent à des conclusions convergentes : il s’agit par exemple des tenants de l’école de Gary Becker, prix Nobel de Sciences économiques en 1992, et qui, selon nous, expliquent les bases économiques des comportements sociaux. En l’occurrence, elles inspirent la réflexion sur les enjeux des attributions des femmes et des hommes ainsi que les analyses pour une appréciation des situations des unes et des autres (Becker, 1957).

    Dans cette étude, nous analysons la situation des femmes au Maroc, aux divers stades de l’existence humaine. Après avoir levé quelques ambiguïtés d’ordre démographique, pour montrer que la répartition des effectifs Hommes – Femmes ne révèle pas de prédominance, nous étudions la situation différenciée des filles et des garçons face à l’éducation et à la santé ; deux domaines fondamentaux pour appréhender la qualité de leur dotation en capital humain et au-delà, pour apprécier la valorisation inégalitaire. L’idée consiste à apprécier à ce stade de la vie, l’inégalité des chances et des “capabilities” au sens de Amartya Sen (1980).

    Dans un second temps, nous nous intéressons à une seconde étape de la vie, et analysons la situation des femmes et des hommes sur le marché du travail. Nous traitons alors de leur participation sur ce marché et ensuite pour celles et ceux qui y participent, à la valorisation (différenciée ?) du travail accompli. L’analyse de la gestion du temps, premier objet de la troisième question abordée, est effectuée à la fois comme cause et conséquence de la nature du comportement sur le marché du travail, mais constitue également une dimension alternative de l’appréhension des inégalités de genre, y compris aux deniers de l’existence.

  • Pour un modèle alternatif de développement du Maroc, Par Yasser Y. Tamsamani, Joseph Brunet-Jailly, Abdellatif Komat et Fouzi Mourji

    Pour un modèle alternatif de développement du Maroc, Par Yasser Y. Tamsamani, Joseph Brunet-Jailly, Abdellatif Komat et Fouzi Mourji

    À partir d’une large revue des écrits théoriques et empiriques ainsi que des divers constats et diagnostics établis à propos du modèle économique marocain, nous développons dans cette étude (Document de travail 01) des analyses pour expliciter les raisons et les mécanismes à l’origine des limites que connait le modèle qui a prévalu et qui prévaut au Maroc ; ensuite nous formulons des propositions de stratégies correctives avec un argumentaire fondé sur les conclusions des précédentes analyses.
    Dans ce cadre, nous mettons en exergue et tentons de justifier le rôle central que joue selon nous le partage primaire des richesses, en l’occurrence celui de la valeur ajoutée qui se fait au détriment des salaires. Les comparaisons internationales, dans une perspective historique, permettent de rapprocher le Maroc de la situation dans laquelle se trouvaient des pays ayant réussi leur émergence et développement.
    Nous montrons comment le partage actuel au Maroc perpétue les inégalités selon plusieurs canaux : il freine les progrès en matière d’éducation, favorise la concentration sur une classe de l’accumulation du capital (qui se traduit par une transmission intergénérationnelle des inégalités), ce qui compromet de ce fait la promotion de l’investissement productif, au profit de placements de rentes (comme dans l’immobilier) et donc inhibe les possibilités de gains de productivité et in fine explique l’atonie de la croissance. Mise en regard avec le rythme de progression de la population en âge de travailler, celle-ci explique pour une grande part l’importance du chômage au Maroc et la persistance de poches de précarité.
    Les recommandations auxquelles nous parvenons et que nous exposons sous forme de propositions touchent plusieurs volets. Par exemple la fiscalité du patrimoine : nous discutons du bien-fondé de la mise en place d’une telle fiscalité mais aussi des précautions à considérer. Nous relevons ensuite ce qui pourrait-être réalisé au niveau d’une politique nationale des rémunérations et en matière de politique de la concurrence. Un argumentaire est développé pour justifier les mesures que nous préconisons pour une réorientation de l’appareil productif national, ou pour un renouveau du syndicalisme et encore pour une moralisation des entreprises (avec notamment un encadrement de la sous-traitance).
    Soulignons cependant que chacune de ces propositions nécessite, pour être déclinée en mesures concrètes et nuancées, une analyse spécifique et de larges concertations, qui devraient intervenir après le débat national sur les grands traits du modèle de développement alternatif.
    Conscients du rôle tout aussi crucial de l’investissement en capital humain et en capital physique, deux annexes sont consacrés l’une à la politique éducative et l’autre aux conditions de promotion et de réussite de l’investissement productif (parmi lesquelles le rôle dévolu à la composante publique de l’investissement productif).
    Le choix de traiter ces deux grandes questions à part est inhérent au souci de maintenir une unité de la réflexion et des conclusions qui ressortent de la question du partage primaire des richesses. Cependant à l’image de la démarche adoptée pour traiter cette dernière, chacune des annexes comporte à la fois des analyses et argumentaires pour expliquer les raisons des diagnostics d’échec relevés et pour préparer et justifier les propositions que nous recommandons.
    De nos analyses à propos de l’investissement, il ressort que pour sortir l’économie marocaine de son actuelle atonie, il importe de repenser les choix en matière d’investissement public qui doivent privilégier les branches ayant des effets d’entraînement les plus larges sur l’économie et nous énonçons quelques critères de référence. Nous insistons sur l’opportunité de pousser les banques à mieux remplir leur rôle de financement du secteur productif.
    L’annexe relative à la politique éducative montre comment les biais proviennent en partie des sources d’inspiration sur lesquelles elle a été fondée au cours de l’histoire récente. En l’occurrence des rapports et orientations qui ne prennent pas suffisamment en compte les réalités propres du pays. Nous concluons qu’il importe de ne pas se contenter d’objectifs quantitatifs (nombre d’élèves inscrits), mais qu’au contraire, une place essentielle doit être réservée à l’acquisition de compétences et savoir-faire (mesurées, à tous les niveaux du système éducatif, par des tests mondialement reconnus).

  • Rapport 01 : « Pour un modèle alternatif de développement du Maroc »

    Rapport 01 : « Pour un modèle alternatif de développement du Maroc »

    Par :
    Yasser Y. Tamsamani, Joseph Brunet-Jailly, Abdellatif Komat, & Fouzi Mourji

    Résumé :
    À partir d’une large revue des écrits théoriques et empiriques ainsi que des divers constats et diagnostics établis à propos du modèle économique marocain, nous développons des analyses pour expliciter les raisons et les mécanismes à l’origine des limites que connait le modèle qui a prévalu et qui prévaut au Maroc ; ensuite nous formulons des propositions de stratégies correctives avec un argumentaire fondé sur les conclusions des précédentes analyses.
    Dans ce mémorandum, nous mettons en exergue et tentons de justifier le rôle central que joue selon nous le partage primaire des richesses, en l’occurrence celui de la valeur ajoutée qui se fait au détriment des salaires. Les comparaisons internationales, dans une perspective historique, permettent de rapprocher le Maroc de la situation dans laquelle se trouvaient des pays ayant réussi leur émergence et développement.
    Nous montrons comment le partage actuel au Maroc perpétue les inégalités selon plusieurs canaux : il freine les progrès en matière d’éducation, favorise la concentration sur une classe de l’accumulation du capital (qui se traduit par une transmission intergénérationnelle des inégalités), ce qui compromet de ce fait la promotion de l’investissement productif, au profit de placements de rentes (comme dans l’immobilier) et donc inhibe les possibilités de gains de productivité et in fine explique l’atonie de la croissance. Mise en regard avec le rythme de progression de la population en âge de travailler, celle-ci explique pour une grande part l’importance du chômage au Maroc et la persistance de poches de précarité.
    Les recommandations auxquelles nous parvenons et que nous exposons sous forme de propositions touchent plusieurs volets. Par exemple la fiscalité du patrimoine : nous discutons du bien-fondé de la mise en place d’une telle fiscalité mais aussi des précautions à considérer. Nous relevons ensuite ce qui pourrait-être réalisé au niveau d’une politique nationale des rémunérations et en matière de politique de la concurrence. Un argumentaire est développé pour justifier les mesures que nous préconisons pour une réorientation de l’appareil productif national, ou pour un renouveau du syndicalisme et encore pour une moralisation des entreprises (avec notamment un encadrement de la sous-traitance).
    Soulignons cependant que chacune de ces propositions nécessite, pour être déclinée en mesures concrètes et nuancées, une analyse spécifique et de larges concertations, qui devraient intervenir après le débat national sur les grands traits du modèle de développement alternatif.
    Conscients du rôle tout aussi crucial de l’investissement en capital humain et en capital physique, deux annexes sont consacrés l’une à la politique éducative et l’autre aux conditions de promotion et de réussite de l’investissement productif (parmi lesquelles le rôle dévolu à la composante publique de l’investissement productif).
    Le choix de traiter ces deux grandes questions à part est inhérent au souci de maintenir une unité de la réflexion et des conclusions qui ressortent de la question du partage primaire des richesses. Cependant à l’image de la démarche adoptée pour traiter cette dernière, chacune des annexes comporte à la fois des analyses et argumentaires pour expliquer les raisons des diagnostics d’échec relevés et pour préparer et justifier les propositions que nous recommandons.
    De nos analyses à propos de l’investissement, il ressort que pour sortir l’économie marocaine de son actuelle atonie, il importe de repenser les choix en matière d’investissement public qui doivent privilégier les branches ayant des effets d’entraînement les plus larges sur l’économie et nous énonçons quelques critères de référence. Nous insistons sur l’opportunité de pousser les banques à mieux remplir leur rôle de financement du secteur productif.
    L’annexe relative à la politique éducative montre comment les biais proviennent en partie des sources d’inspiration sur lesquelles elle a été fondée au cours de l’histoire récente. En l’occurrence des rapports et orientations qui ne prennent pas suffisamment en compte les réalités propres du pays. Nous concluons qu’il importe de ne pas se contenter d’objectifs quantitatifs (nombre d’élèves inscrits), mais qu’au contraire, une place essentielle doit être réservée à l’acquisition de compétences et savoir-faire (mesurées, à tous les niveaux du système éducatif, par des tests mondialement reconnus).

  • Répartition des richesses, fonctionnement du marché du travail et équilibre du système des retraites, par Hicham Belkouch

    Répartition des richesses, fonctionnement du marché du travail et équilibre du système des retraites, par Hicham Belkouch

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    L’objectif de ce billet est de mettre en lumière ce que le débat autour de la réforme des retraites laisse dans l’ombre la plus totale : la redistribution des gains de productivité et la remise en question de l’argument démographique (cas du Maroc). Tout en soulignant que la réponse à ces questions-là est loin d’être arithmétique, comme le souligne certains rapports officiels (Banque Mondiale, 2005 ; Actuaria [1], 2010 ; BIT, 2011 ; Haut-Commissariat au Plan 2012 ; Cours des Comptes, 2013), mais elle découle des choix volontaires de politiques publiques.


    En 1980, le Maroc comptait 15 cotisants pour répondre aux besoins d’un retraité, alors que ce chiffre a baissé à 4,3 en 2015. Voilà le gros du fonds de commerce de l’argument démographique qui consiste à tirer le signal d’alarme en rapportant le nombre des cotisants à celui des retraités. Cette argumentation, censée souligner la charge insupportable à long terme que représenteraient les retraités pour les actifs ne peut expliquer à elle seule les problèmes dont souffre notre régime de retraite par répartition. Un rapport démographique n’est pas un rapport économique.

    Évolution du taux de dépendance au Maroc 

    Source : Réalisé par l’auteur à partir des données des caisses de retraite

    Car, ce qui n’est pas explicite dans le tableau précédent, c’est que les 4,3 actifs de 2015 produisent plus de richesse que les 15 actifs de 1980. Et c’est la principale limite de l’argument démographique qui repose sur le postulat d’absence de gains de productivité et de redistribution de la valeur ajoutée. En calculant la Productivité Apparente du Travail [2] (en valeur) entre 2000 et 2015, nous constatons que cette dernière n’a fait qu’augmenter. Cette dernière a plus que doublé en l’espace de 15 ans seulement, passant de 44 244 Dirhams par travailleur à 91 977 Dirhams.

    Source : Réalisé par l’auteur à partir des données des caisses de retraite et du HCP

    Dans son livre (L’enjeu des retraites, 2010), Bernard Friot mentionne dans un passage « Imaginons cet argument là en 1950 : 1 citoyen sur 3 travaille dans l’agriculture, alors qu’il n’y en aura que 1 sur 30 en l’an 2000. La famine en l’an 2000 est donc inévitable. C’est un constat arithmétique ! ».

    Ce passage du livre de Bernard Friot est peut-être caricatural, mais illustre en partie le biais de cette théorie arithmétique. Avec toutes les transformations du marché de travail, du salariat, de l’organisation familiale, de l’augmentation des inégalités et des écarts sociaux, ne serait-il pas légitime de passer de l’argument arithmétique à celui de la redistribution des gains de productivité. C’est-à-dire que le plus important n’est pas de savoir combien aura-t-on de personnes X pour répondre aux besoins des personnes Y, mais de savoir si les gains de productivité créés par la personne X seraient suffisants pour répondre aux besoins des personnes Y.


    Or, ces questions de régénération et ensuite de la redistribution des gains de productivité sont absentes du débat actuel sur la réforme des systèmes de retraite. Car, il est important de le rappeler, les gains de productivité donnent lieu à la création d’un surplus distribuable sous plusieurs formes, aux salariés à travers une hausse des salaires, à l’entreprise en augmentant les profits, aux actionnaires en leur offrant des dividendes, aux consommateurs en baissant les prix, à l’Etat en augmentant les recettes. Ainsi, le débat n’est plus arithmétique, mais il relève du choix de politiques publiques.

    En supposant vrai le postulat qui veut que les retraités soient des inactifs et que la dynamique d’une société repose sur les actifs occupés, c’est-à-dire ceux qui ont un emploi. Le rapport des 60 ans et plus sur les 20-59 ans n’est en aucun cas un indicateur du rapport entre actifs occupés et inactifs, le seul qui ait un sens économique. Cette lecture permet de sortir de la logique de l’argument démographique et se poser la question comment assurer les besoins croissants de financement du système de retraite dans un contexte où la proportion d’actifs occupés reste stable ?
    Afin de mieux approcher cette question, nous observerons l’évolution du ratio « inoccupés /occupés » depuis le début des années 2000 jusqu’à aujourd’hui. Nous constatons que ce dernier reste stable et tourne autour de 2,1 entre 2002 et 2014.

    Evolution de la productivité apparente du travail et du ratio inoccupés-occupés

    Source : Réalisé par l’auteur à partir des données du HCP

    En contrepartie, et malgré la forte part de l’emploi agricole dans l’emploi total (près de 40%), les emplois générés par ce secteur n’ont pas dépassé 5.000 emplois par an en moyenne entre 2000 et 2012, soit près de 4% de l’ensemble des emplois créés durant cette période. En contrepartie, la croissance de la productivité du travail dans le secteur de l’agriculture, forêt et pêche a connu une évolution hallucinante, associée directement à la mise en œuvre du plan « Maroc vert » (2007-2012) favorisant des investissements à forte intensité de capital en vue d’augmenter le rendement du secteur. Le plan « Maroc vert » a permis au secteur agricole d’enregistrer un gain de productivité du travail de plus de quatre points de pourcentage entre les périodes 2000-2007 et 2007-2012, passant respectivement de 3,7% à 8% [3].


    Quant aux secteurs qui ont contribué le plus à la création d’emplois, ce sont les services et le BTP. Selon le même rapport du ministère de l’emploi (2015), ils ont contribué pour près de deux tiers à la variation de la valeur ajoutée totale et sont à l’origine de plus de 93% des emplois créés au Maroc entre 2000 et 2015. En termes d’évolution, les deux secteurs ont enregistré une hausse de leurs contributions à l’emploi global, accompagnée par une hausse des gains de productivité du travail. Cependant, cette évolution pourrait être considérée comme étant faible par rapport au poids des emplois créés (93%). Cela s’explique essentiellement par le faible niveau de qualification de la majorité de l’emploi créé dans ces deux secteurs, ce qui diminue logiquement la productivité du travail.


    Il faut prendre la mesure de la rupture historique que cela représente. Depuis environ un siècle et demi, les salariés avaient progressivement réussi à imposer que l’augmentation régulière de la richesse produite se traduise par une baisse de la durée du travail, baisse journalière, hebdomadaire mais aussi du nombre d’années travaillées sur la vie entière. Cette baisse de la durée du travail a considérablement modifié le rapport à la retraite. C’est cette avancée de civilisation qui est aujourd’hui remise en cause. Ainsi, le débat sur la retraite nous renvoie directement au modèle de croissance générateur de la richesse et aux modalités de partage de la richesse créée entre salaire et profit.

    Par

    BELKOUCH Hicham
    Doctorant en économie à l’Université Paris Nanterre, l’Université Mohamed V de Rabat et à l’Université Internationale de Rabat et chercheur associé à la Chaire Prévoyance et Retraite. Contact : belkouch.h@gmail.com

    Notes :

    [1] Cabinet français d’actuariat qui avait réalisé une étude sur la réforme du système de retraite au Maroc.
    [2] Productivité apparente du travail = PIB / Nombre de travailleurs.
    [3]« Etude sur la situation de l’emploi au Maroc » Ministère de l’Emploi et des Affaires Sociales (2015).