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L’après-Covid: stratégie pour une présence dans la révolution technologique. Par Mohamed Bouassami

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Le Maroc a fait montre, à travers la gestion de la crise sanitaire et le déroulement de la campagne de vaccination, d’une grande maitrise et d’une exceptionnelle capacité d’adaptation, de réactivité et de logistique organisationnelle sur le terrain, limitant ainsi la propagation du virus et le nombre de décès. La présence efficace et bienveillante des autorités sur le terrain a certainement contribué à entretenir l’élan de solidarité né à tous les niveaux et à affermir la cohésion sociale. Dans ce contexte, la sortie de la crise sanitaire peut être envisagée en capitalisant sur cet élan pour relever les défis qui nous attendent. Cependant, se contenter d’un plan classique de relance économique post-Covid, quand bien même il est ambitieux et d’une grande envergure, ne garantira pas au Maroc une présence à moyen et long terme dans le monde technologique déjà en mouvement. De même, s’inspirer uniquement des expériences de pays de même niveau de développement ne nous aidera pas à nous surpasser ni à pousser l’horizon de nos ambitions et nous projeter dans le monde de demain. A cet égard, l’exemple américain est instructif par son volontarisme, son ambition et ses prises de risques.

En effet, la nouvelle administration a mis en œuvre un deuxième plan de relance dans la foulée de l’effort déployé en 2020 et prévoit de le compléter par un plan massif d’investissement étalé sur huit ans. L’originalité de ce plan d’investissement, ambitieux et audacieux selon les termes mêmes du Président américain, réside, au-delà de son envergure financière, dans la vision stratégique qui le sous-tend, l’objectif étant de rendre les entreprises plus compétitives, plus vertes et plus innovantes. Pour financer cet effort colossal, l’administration prévoit d’augmenter le taux d’imposition des sociétés[1]. Elle a également pousser pour qu’un accord international soit obtenu dès la mi-2021 pour la taxation des entreprises étrangères, permettant ainsi aux pays de capter une partie des ressources fiscales des entreprises internationales opérant sur leur sol[2]. A travers cette politique résolument volontariste, les Etats-Unis cherchent à se positionner dans une économie mondiale au seuil d’une révolution technologique de grande ampleur. Il s’agit de maitriser et d’assurer l’indépendance entre autres dans le domaine de l’industrie des satellites, de la voiture électrique, des semi-conducteurs[3], du déploiement de la 5G et de la recherche sur l’ordinateur quantique[4], que les experts qualifient de révolution de rupture.

Concernant le Maroc, en l’absence de solidarité internationale malgré les promesses réitérées du G20, un plan classique de relance économique tout en veillant à préserver les équilibres budgétaires, dispose de peu d’options pour son financement en dehors de l’endettement et de l’augmentation de la pression fiscale. Certes, pour éviter d’handicaper toutes les entreprises, la pression fiscale peut-être adoucie par un meilleur ciblage des secteurs économiques dont l’activité s’est maintenue ou a prospéré pendant la crise sanitaire. De même, la mise en place d’un fonds de solidarité alimenté par les dons privés, peut contribuer à mieux protéger les populations vulnérables.

Cependant, il s’agit aujourd’hui de faire preuve d’audace et capitaliser sur notre avance par rapport à d’autres pays de la région, en matière d’innovation et de technologies de l’information. A la faveur d’un écosystème développé ces dernières années et animé par de jeunes startups innovantes, appuyé par plusieurs organismes publics, privés et associatifs aussi bien pour la formation que pour le soutien financier, le Maroc peut prétendre devenir à terme un pourvoyeur de software. Parier sur le développement de cet écosystème est le gage de ne pas rater le train de la révolution technologique en cours. En effet, la demande pour le développement des applications et de logiciels informatiques déjà forte, est appelée à exploser dans les années à venir. Rien que dans le secteur automobile, la voiture est de plus en plus truffée d’électronique et autres logiciels, « l’intelligence embarquée » représente aujourd’hui 20% de la valeur d’une voiture et 60% à l’horizon 2030, marché colossal que se partagent les constructeurs automobile, les équipementiers et les géants des hautes technologies. Le potentiel de sous-traitance dans ce secteur ne fera qu’augmenter[5]. Le Maroc, ayant déjà plusieurs constructeurs automobile opérant sur son sol, en développant un écosystème de qualité pour le développement de logiciels, peut à terme prétendre se positionner comme sous-traitant et même concepteur d’intelligence embarquée.

Une stratégie nationale portée par une volonté politique forte et implémentée dans le cadre d’un plan décennal permettra de concrétiser cette ambition. En effet, en plus du volet formation et recherche, il va falloir explorer les possibilités d’associer la diaspora marocaine présente à la Silicon Valley à la mise en place de ce plan.

S’agissant de la formation de développeurs d’application et de logiciels informatiques, l’OFPPT dispose déjà des infrastructures et de quelques filières à renforcer et étoffer. Il existe également des centres de formation financés par le secteur privé. Le modèle de l’école de Khouribga fruit d’un partenariat OCP- Ecole 42, devra être dupliqué à une grande échelle. En ce qui concerne la formation des spécialistes en intelligence artificielle et en machines apprenantes (machine learning), elle peut être dispensée à travers l’intégration de modules spécialisées dans le curriculum de formation d’ingénieurs et des licences et masters en mathématique et en physique. Ces modules doivent être généralisés dans toutes les écoles d’ingénieurs et toutes les filières de mathématique et de physique. Il s’agit de disposer dans les cinq prochaines années d’un nombre significatif de spécialistes dans ces domaines pour enrichir l’offre marocaine.

Une partie des spécialistes formés et porteurs d’idées de projets transitera par des incubateurs que les Ecoles d’ingénieurs et les universités des sciences seront encouragés à mettre en place à l’instar du modèle d’incubateur, « U-Founders » de l’université Mohamed VI Polytechnique. L’objectif étant que ces spécialistes puissent aller au bout de leurs projets et certains créer leurs propres startups. La majorité des spécialistes formés rejoindra les sociétés de développement de software sous-traitants des grandes entreprises internationales. Le reste s’emploiera dans les laboratoires de recherches.

A cet égard, la promotion d’un écosystème aussi stratégique ne peut prospérer à long terme que s’il peut s’appuyer sur un secteur dynamique de la recherche théorique dans les sciences fondamentales. Il faut bien comprendre que même si les retombés théoriques de ces recherches débouchent rarement sur des applications industrielles, le fait de disposer d’expertise théorique de très haut niveau facilite l’émergence de certaines technologies. Parmi les pays qui travaillent aujourd’hui sur l’ordinateur quantique, ceux disposant des meilleurs théoriciens de la physique quantique ont plus de chances d’aboutir[6]. La création d’un Fonds public pour le soutien de la recherche fondamentale ne doit pas être perçue comme un luxe mais plutôt comme un investissement dans l’avenir.

Enfin, notre diaspora présente aux Etats-Unis d’Amérique et notamment à la Silicon Valley dans la recherche et dans les entreprises de hautes technologies, peut contribuer sur le plan technique et faciliter l’accès aux Fonds d’investissement américains. A l’instar de certains pays développés comme la Suisse ou la France qui disposent d’antennes à San Francisco, le Maroc peut prévoir une structure légère à travers son réseau consulaire ou dans le cadre d’un partenariat public-privé. Par un réseautage ciblé, cette structure mettra en liaison la diaspora et l’écosystème marocain.  L’apport de nos compatriotes peut se faire à travers le « mentoring » à nos startups, l’assistance technique, la mise en contact avec des incubateurs américains ou donneurs d’ordres à nos sociétés de développeurs ou encore par la promotion de notre écosystème et notre offre auprès des Fonds d’investissement américains. En effet, plusieurs Fonds d’investissement outre-Atlantique s’intéressent et de plus en plus à l’Afrique. Par ailleurs, notre représentation, par sa présence au cœur de la Silicon Valley, sera notre relai une veille technologique.

S’il y a une leçon à retenir de cette crise sanitaire, c’est l’exacerbation du chacun pour soi. Seuls les pays qui feront preuve d’audace, d’ambition et de volonté et surtout qui prendront des risques, verront leurs rêves d’aujourd’hui se transformer en la réalité de demain.

Par Mohammed Bouassami, Docteur du 3éme cycle en économie mathématique et ancien haut fonctionnaire international à Genève.


[1]    Voir Le Monde du 1er avril 2021, « J. Biden propose un plan d’investissement massif pour moderniser les Etats-Unis ».

[2]    Voir LesEchos du 8 avril 2021, « Taxation minimum des entreprises », par R. Hiault.

[3]    Un dossier complet est paru sur les semi-conducteurs dans Courrier international n°1590 du 22 au 28 avril 2021.

[4]    Voir le Journal CNRS du 15 avril 2019, « ordinateur : les promesses de l’aube quantique » : https://lejournal.cnrs.fr/articles/ordinateur-les-promesses-de-laube-quantique

[5]    Voir le Monde du 1er avril 2021, « intelligence embarquée, moteur de croissance de l’automobile », par E. Béziat.

[6]    Je renvoi le lecteur à l’excellent plaidoyer pour la recherche fondamentale par l’ancien Directeur général du Centre Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) sur le site du CERN ( https://public-archive.web.cern.ch/fr/About/BasicScience6-fr.html ), dans lequel il montre que le financement public doit aller plus vers la recherche fondamentale que vers la recherche appliquée, les retombées de la première alimentant et accélérant la seconde.