Catégorie : Blog

  • La mobilité professionnelle et l’écart salarial des femmes dans le secteur privé formel au Maroc

    La mobilité professionnelle et l’écart salarial des femmes dans le secteur privé formel au Maroc

    Malika Nahmed[1], Zineb Nahmed[2], Abdeljaouad Ezzrari[3]

    A l’occasion de la journée internationale de la femme, ce billet consiste à présenter un aspect de la situation de la femme sur le marché de travail au Maroc. L’accent sera mis particulièrement sur les femmes travaillant dans le secteur privé formel en termes de l’évolution de leur emploi, de leur mobilité professionnelle et de leur rémunération salariale, et ce en comparaison avec leurs homologues hommes.

    Le Maroc comme beaucoup de pays africains connait une abondance de ressources humaines, qui peut constituer un facteur de croissance d’une importance cruciale, dans la littérature, on a parlé de « dividende démographique ». Sauf que la contribution directe des femmes à cet effort collectif est limitée par son accès timide au marché du travail.

    En effet, le nombre de femmes activées âgées de 15 ans et plus a atteint 2,8 millions en 2022, soit un taux d’activité de 19,8% contre 69,6% pour les hommes. Le taux d’activité féminine n’a cessé de diminuer durant les deux dernières décennies en passant de 28,1% en 2000 à 19,8% en 2022.

    Parmi les conséquences de cette baisse, le taux d’emploi des femmes a également régressé durant cette période passant de 24,5% à 17,4% respectivement. La structure de l’emploi féminin montre que la qualité de cet emploi est de faible qualité : plus du tiers (35,7%) occupe un emploi non rémunéré généralement en milieu rural. Aussi, l’emploi formel féminin représente près de 30% de l’emploi total féminin dont la majorité est dans le secteur privé.

    Au-delà de ces statistiques qui plantent le décor, plusieurs questions méritent d’être creusées : comment évolue l’emploi féminin dans le secteur formel privé au Maroc ? Comment s’opère la mobilité professionnelle des femmes intra et intersectorielle ? Quels sont les principaux facteurs explicatifs de leur mobilité ? Y-a-t-il une inégalité en termes de rémunération salariales entre les hommes et les femmes dans le secteur privé formel au Maroc ?

    L’objectif de notre réflexion consiste à y répondre.

    I. L’Emploi féminin au Maroc : entre stagnation et dégradation

    Comme mentionné, les deux dernières décennies ont été caractérisées par une baisse continuelle du taux d’activité des femmes. Cette baisse est imputable principalement à l’augmentation de la durée de scolarisation des jeunes filles durant cette période.  Quant au taux d’activité des hommes, quoi qu’il ait baissé également durant cette période (de 78,9% à 70,4%), il représente plus de 3 fois celui des femmes.

    En termes d’emploi, le taux des femmes a également baissé durant cette période, atteignant un niveau record en 2020, année de la propagation de la pandémie Covid-19 et du confinement sanitaire y afférent. C’est ainsi que le taux d’emploi a baissé de 24,5% en 2000 à  17,4% en 2021, avec au passage 16,7% en 2020. Celui des hommes, a atteint 62,7% en 2021 contre 69,0% en 2000.

    Source : Enquête Nationale sur l’Emploi 2006-2021, HCP

    Dans ces conditions, la part des femmes dans l’emploi total n’a pas cessé de diminuer durant cette période, elle est passée de 27,1% en 2006 à moins de 23,0% en 2021.

    Si l’emploi féminin total a quasi-stagné durant la période, l’emploi formel privé a en revanche connu une croissance non négligeable. En effet, l’effectif des femmes déclarées à la CNSS a connu une augmentation annuelle moyenne de l’ordre de 5,4% contre 5,2% pour les hommes. La part de l’emploi féminin dans le total de l’emploi privé formel a atteint 32% en 2017, contre moins de 23% pour l’emploi total. Aussi, la part de l’emploi féminin privé formel dans l’emploi féminin total représente 37,8% en 2017 contre uniquement 19,4% en 2006. Ces pourcentages sont respectivement de 24,4% et 15,8% pour les hommes. De ce point de vue, on peut considérer que l’emploi des femmes (pour celles qui participent au marché du travail) a gagné en qualité. Ce résultat n’est pas surprenant car le faible taux d’activité traduit en fait une forte auto-sélection (cf. Mourji et Ezzrari 2016) qui, in fine conduit et permet aux femmes qui vont sur le marché d’être plus exigeantes.

    II. L’Emploi féminin dans le secteur privé formel est concentré dans les services

    L’évolution de la structure l’emploi féminin privé formel selon le secteur d’activité, entre 2006 et 2017, se présente comme suit :

    Evolution de la structure de l’emploi privé formel (en %) selon le secteur d’activité et le sexe

    Secteur d’activité de l’entreprise20062017
    FemmesHommesTotalFemmesHommesTotal
    Agriculture, forêt et pêche5,510,48,910,311,611,2
    Industrie dont :47,023,030,526,116,219,3
    AgroalimentaireTextiles et HabillementAutres7,6 31,6   7,94,6 7,2   11,35,5 14,8   10,25,8 13,8   6,53,1 3,8   9,33,9 7,0   8,4
    BTP2,921,715,74,319,514,7
    Commerce12,615,314,414,715,515,3
    Services31,229,229,843,936,939,1
    Autres0,80,50,60,70,30,4
    Effectif Total523 4811 140 0101 663 491937 3162 003 0742 940 390

    Source : Données de la CNSS 2006-2017

    Il ressort de ce tableau que le secteur des services devient largement le premier pourvoyeur de l’emploi féminin, suivi par l’industrie et principalement la branche Textiles et Habillement. Onze années auparavant, le secteur de l’industrie et plus précisément la branche Textiles et Habillement absorbait la grande part de l’emploi des femmes. Le commerce et l’agriculture, forêt et pêche ont vu leur part dans l’emploi féminin privé formel augmenter durant la période 2006-2017, passant respectivement de 12,6% à 14,7% et de 5,5% à 10,3%. Cette progression de la part des services au détriment du textile par exemple, reflète autrement l’amélioration de la qualité de l’emploi féminin sur la période considérée.

    En comparaison avec les hommes, les femmes sont plus présentes dans l’industrie et notamment l’agroalimentaire (5,8% contre 3,1%) et le textile et habillement (13,8% contre 3,8%), et dans les services (43,9% contre 36,9%), tandis que la part des hommes est plus importante dans le BTP (19,5% contre 4,3%) et dans les autres industries (9,3% contre 6,5%).

    III. La Mobilité professionnelle des femmes salariées du secteur privé formel : une relative dissimilitude avec celle des hommes

    L’emploi féminin dans le secteur privé formel est caractérisé par une forte mobilité[4] d’une année à une autre. En 2007, 14,9% des femmes enregistrées à la CNSS une année auparavant avaient quitté le registre de la CNSS pour l’inactivité, le chômage, la retraite ou le passage à d’autres formes d’emploi (auto-emploi, salariat informel ou salariat public ou semi-public) ; 5,7% avaient dû changer d’entreprise tout en gardant la même branche d’activité et 4,1% ont changé d’entreprise et de branche d’activité. Au total, 24,7% des femmes salariées dans le secteur privé formel, en 2006, ont quitté leurs entreprises l’année suivante.

    En 2017, la part des femmes ayant quitté leurs entreprises (femmes mobiles) est plus élevée de 2 points de pourcentage par rapport à 2007, 15% ont quitté l’emploi privé formel, 5,6% ont observé une mobilité intra-sectorielle et 5,4% une mobilité inter sectorielle.

    En comparaison avec leurs homologues hommes, les femmes sont relativement moins mobiles, soit 26,7% en 2017 contre 28,2% pour les hommes. La mobilité de ces derniers est équitablement orientée entre les secteurs (7%) qu’à l’intérieur du même secteur (6,8%).

    Mobilité professionnelles des salariés du secteur privé formel selon le sexe

    Etat de mobilité2006/20072016/2017
    FemmesHommesTotalFemmesHommesTotal
    sortie du marché14,915,715,415,014,414,6
    immobilité75,372,773,573,371,872,3
    mobilité intra-secteur5,76,36,15,66,86,4
    mobilité inter-secteur4,15,45,06,17,06,7
    Effectif Total523 4811 140 0101 663 491876 4241 904 7722 781 196

    Source : Données de la CNSS 2006-2017.

    Si on prend une cohorte de femmes salariées déclarées à la CNSS en 2006, abstraction faite de leur ancienneté dans le répertoire de la CNSS, près de la moitié (47,4%) quitte leurs entreprises après 3 ans seulement, 29,7% sortent du marché du travail privé formel et 17,8% changent leurs entreprises d’affiliation (10,1% continuent à exercer dans la même branche d’activité et 7,7% changent de branche).

    Après 11 ans, plus de la moitié (52,8%) des salariées déclarées à la CNSS en 2006, se trouvent hors le salariat privé formel, contre uniquement 46,7% pour les hommes. Le maintien du même emploi durant la même période ne concerne que 23,1% des femmes salariées de la cohorte 2006, contre 23,0% pour les hommes, tandis que la mobilité intra-branche et la mobilité inter branche ont touché respectivement 12,7% et 11,3% de ces femmes, contre 13,6% et 16,7% pour les hommes.

    Selon ces résultats, il apparaît que les femmes sont plus exposées au risque de sortie du secteur privé formel. Pour confirmer ou infirmer ce constat, il est nécessaire d’analyser la mobilité des salariés du secteur privé formel. Et ce, à travers l’utilisation d’un modèle logit multinomial[5]. L’analyse sera faite en fonction des variables relatives aux caractéristiques du salarié : le sexe (comme variable d’intérêt), et comme variables de contrôle, nous introduisons l’âge et l’ancienneté dans le secteur privé formel, ainsi que les caractéristiques des entreprises où elles exercent et de leur environnement géoéconomique :  secteur, taille de l’entreprise, région d’installation.  Pour capter l’effet du sexe sur la mobilité professionnelle, nous estimons dans un premier temps, un modèle sur l’ensemble des salariés, et dans un deuxième temps un modèle sur les femmes salariées uniquement pour capter les principaux facteurs agissant sur leur mobilité. Nous prenons deux types de mobilité, une mobilité d’une année à une autre (2017 par rapport à 2016), et une mobilité sur une longue période (2017 par rapport à la cohorte 2006). Les résultats de ces estimations sont les suivantes :

    • Les femmes sont plus exposées à quitter le secteur privé formel que les hommes.
    • Les femmes ont moins 0,7% de chances de rester dans la même entreprise que les hommes pour la période 2016/2017.
    • Les femmes ont moins de chances d’accéder à la mobilité intra-branche par rapport aux hommes. En 2016/2017, les femmes ont 18,5% de chances de sortir du secteur privé formel que d’effectuer une mobilité intra-branche par rapport aux hommes.
    • La mobilité inter branche est plus favorable aux hommes, comparées aux femmes, par rapport à la sortie du secteur privé formel. En 2016/2017, les femmes ont eu une probabilité de 15,5% de sortir du marché du travail formel que d’effectuer une mobilité inter branche par rapport aux hommes.
    • Selon le secteur d’activité, et en comparaison avec l’agriculture, forêt et pêche, les femmes exerçant dans les autres secteurs, ont plus de chances de rester dans leurs entreprises que de sortir du secteur privé formel.
    • En ce qui concerne la mobilité intra-branche, les femmes exerçant dans les services, le commerce, le BTP, l’agro-alimentaire et autres industries sont plus enclines à sortir du secteur privé formel que de changer l’entreprise qui a la même branche d’activité, et ce par rapport aux femmes salariés dans l’agriculture, forêt et pêche.
    • Les femmes qui exercent dans les différents secteurs d’activité et spécialement celles qui exercent dans l’agriculture, forêt et pêche sont plus susceptibles de quitter le secteur privé formel que d’effectuer une mobilité inter branche
    • Selon l’âge des salariées, celles qui ont moins de 25 ans sont plus exposées à sortir du marché de travail que d’être dans un autre état de mobilité, que celles qui ont moins de 50 ans.
    • Concernant l’ancienneté dans le secteur privé formel, par rapport aux femmes qui ont 2 ans ou moins d’ancienneté dans le secteur, les femmes de plus de 3 ans d’ancienneté ont plus de chance de basculer dans les différents états de mobilité que de sortir du secteur privé formel.

    Il ressort de ce qui précède que les femmes, toutes choses étant égales par ailleurs, occupant un emploi dans le secteur privé formel sont moins stables que les hommes. Elles ont une forte probabilité de sortir du marché du travail privé formel que d’effectuer des mobilités inter ou intra-branche. Le fait que dans notre société, les femmes ont, en priorité, la charge de s’occuper des enfants, le changement de statut matrimonial (de célibataire à mariée) s’accompagne plus pour elle de modification du statut d’occupation (en l’occurrence de salariée à inactive).

    Une autre dimension de l’analyse des caractéristiques de l’emploi des femmes qui exercent dans le secteur privé formel, concerne leurs conditions de travail en termes du nombre d’heures travaillées et en termes de rémunération salariale et enfin  Y-a-t-il une persistance des inégalités de genre en termes de rémunération salariale ?

    IV. Evolution de la rémunération salariale des femmes salariées du secteur privé formel : y-a-t-il une discrimination par rapport aux hommes ? 

    L’analyse de la rémunération salariale des femmes salariées du secteur privé formel a montré que le salaire annuel moyen des femmes a augmenté de 3,6% en moyenne annuelle entre 2006 et 2017, contre une augmentation annuelle moyenne de 2,8% pour les hommes (ça aurait été bien de préciser si en réel ou en nominal et dans ce cas indiquer le de variation des prix). Cependant, les salaires (annuels moyens ? ou salaire horaire moyen ?) des hommes durant cette période restent largement supérieurs à ceux des femmes. Par contre, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes se sont un peu rétrécis avec la correction par le nombre de jours déclarés durant l’année. En effet, les indices de parité des salaires journaliers entre les hommes et les femmes oscillent entre 112 et 115 depuis l’année 2010.

    Les disparités des salaires entre hommes et femmes apparaissent selon l’âge du salarié et l’ancienneté. L’analyse de l’évolution des salaires des femmes dans le secteur privé formel a montré que le niveau moyen de leur rémunération s’est nettement amélioré selon les différentes caractéristiques liées aux salariées ou à l’entreprise. Cependant, le niveau moyen de leur rémunération reste toujours inférieur à celui des hommes.

    Le salaire annuel moyen cache des disparités selon le secteur d’activité, l’âge du salarié, l’ancienneté dans l’emploi, la taille de l’établissement, etc.

    Pour bien mesurer le niveau d’inégalités salariales entre les hommes et les femmes, appréhender son évolution, et capter l’effet des différentes caractéristiques de la femme, toutes choses étant égales par ailleurs, sur le niveau des salaires des femmes nous procédons à un modèle économétrique qui met en relation les salaires (annuels et par jour) et les différentes caractéristiques liées à l’entreprise (secteur d’activité, taille de l’entreprise et localisation géographique) et aux salariés (sexe, âge et ancienneté)[6].

    Il ressort des résultats de cette estimation que toutes choses égales par ailleurs :

    • Les femmes salariées dans l’agriculture, forêt et pêche sont les moins bien rémunérées.
    • Les écarts salariaux (idem) entre hommes et femmes s’accentuent au fur et à mesure que la taille de l’entreprise augmente.
    • Les disparités salariales entre les hommes et les femmes s’accentuent davantage avec l’âge.
    • L’ancienneté dans le registre des déclarations a atténué les inégalités salariales entre les hommes et les femmes.
    • Les hommes ont en moyenne un salaire de 17,2% de plus que les femmes salariées en 2017 , alors qu’en 2006, cette valeur était de 10,1% . Il serait qu’à l’avenir, les enquêtes emplois intègrent d’autres informations sur les profils des enquêtés, comme par exemple leur qualification. Il sera plus aisé d’analyser les raisons des écarts salariaux, en appréhendant de manière plus précise, l’effet de chacun des facteurs potentiellement explicatifs.
    • L’écart salarial a connu une baisse durant la période 2006-2008 pour se situer 7,54%, puis il a commencé à augmenter à partir de 2010 passant de 9,49% en 2010 à 17,2% en 2017.
    • L’écart moyen salarial par jour travaillé ou déclaré entre les hommes et les femmes a atteint 3,2% en 2017 après avoir été de 4,8%.

    Conclusion

    L’analyse de la situation des femmes sur le marché de travail marocain a montré que les taux d’activité et d’emploi des femmes n’ont pas cessé de diminuer durant les deux dernières décennies. Ils ont baissé de plus d 7 points de pourcentage durant la période 2000-2021, passant respectivement de 28,1% à 20,9% pour le taux d’activité et de 24,5% à 17,4% pour le taux d’emploi.

    Dans un autre côté, près du tiers de l’emploi féminin au Maroc est non rémunéré, notamment en milieu rural où la part des femmes aides familiales avoisine 70,0%.

    Parallèlement à cette situation, l’emploi féminin privé formel n’a pas cessé d’augmenter ces derniers temps. L’effectif des salariées déclarées à la CNSS a presque doublé entre 2006 et 2017 passant de 526 mille à 937 mille. Cependant, l’emploi féminin privé formel est caractérisé par une instabilité dans le temps par rapport à celui des hommes. En effet, les femmes sont les plus enclines à sortir du secteur privé formel que d’effectuer une mobilité ascendante (inter ou intra-branche) par rapport aux hommes.

    L’analyse de la rémunération salariale selon le genre a confirmé la persistance des inégalités de genre et ces inégalités se sont accentuées à partir de 2008. En 2017, toutes choses étant égales par ailleurs, les femmes ont un niveau de salaire annuel moyen inférieur de 17,0% par rapport à celui des hommes.


    [1] Doctorante à la faculté des Sciences Juridiques Economiques et Sociales à Ain Sebaa-Casablanca.

    [2] Professeur Habilitée à l’Université Hassan II – FSJES Ain Chock.

    [3] PhD en Économie et Chercheur associé au Lasaree.

    [4] La mobilité dans notre cas est appréhendé par 4 situations : 1- sortie du secteur privé formel vers l’inactivité, le chômage, la retraite ou autres formes d’emploi ; 2- le maintien de l’emploi dans la même entreprise (immobilité) ; 3- le changement de l’entreprise tout en gardant la même branche d’activité (mobilité intra-secteur) ; et 4- le changement de l’entreprise et la branche d’activité (mobilité inter-secteur).

    [5] Ce choix se justifie par la nature de la variable à expliquer, qualitative polytomique non ordonnée.

    [6] Un article sur la problématique est en cours de finalisation et sera publié prochainement dans le portail de la revue Réflexions Economiques.

  • Claude Montmarquette : incarnation de la curiosité créative et du partage. Par Fouzi Mourji

    Claude Montmarquette : incarnation de la curiosité créative et du partage. Par Fouzi Mourji

    Claude nous a quitté, mais reste tout ce qu’il a disséminé comme savoir académique et comme savoir être !

    Fouzi Mourji / 12 Septembre 2021

    Comment parler à propos de Claude, sans trahir la pudeur qui n’autorisait pas de lui exprimer de vive voix toute notre reconnaissance et nos sentiments à son égard ?

    Beaucoup a été dit et peut être développé à loisir sur ses apports à l’analyse économique et aux méthodologies novatrices en leur temps. Je voudrai souligner que ces apports ne se pas sont limités aux frontières de l’Amérique du Nord et je vais insister pour ma part sur nos souvenirs de ce côté de l’Atlantic, des échanges aux niveaux académique et humain, avec quelques anecdotes.

    Durant la fin des années 80’s, nous avons bénéficié de plusieurs séjours académiques de Claude, et c’est grâce à lui que nous sommes arrivés à la recherche en microéconomie appliquée et que nous avons développé nos connaissances en économétrie des variables qualitatives. Au cours des années 90’s, au même titre qu’il a introduit l’économie expérimentale au Québec, les étudiants de l’option « économétrie appliquée » de l’Université Hassan II- Casablanca, ont bénéficié d’externalités grâce à sa générosité et son dynamisme : ainsi une superbe journée avait été organisée à son initiative et consacrée à l’initiation à cette nouvelle approche en économie à travers une série d’exposés et d’applications.

    Si je reviens sur le 1er article réalisé en commun « les déterminants des résultats scolaires » (lien-1), ce serait pour dire comment il nous expliqué la gymnastique à laquelle on peut recourir pour mettre à profit les bases de données, souvent insuffisamment complètes pour permettre d’approfondir les questions traitées. En l’occurrence, nous travaillions sur les résultats au baccalauréat (fin des études de lycée au Maroc) et ne disposions pas de données sur le « fonctionnement intellectuel » des élèves, pour contrôler les effets des variables caractérisant leur milieu socio-économique et ceux des attributs de leurs enseignants et de leur lycée. Or nous avions dans les dossiers des élèves leurs notes en CM2 (fin de l’école primaire). Ainsi, il a eu l’idée de suggérer, moyennant quelques précautions, de recourir à une modélisation en deux étapes (équations) : explications des résultats du primaire et ensuite utilisation des résidus obtenus comme proxy du fonctionnement intellectuel dans l’équation d’analyse des résultats au baccalauréat. Les résultats ont été probants.

    Au niveau du savoir être, je souhaite souligner sa patience et sa formidable capacité d’écoute : celle-ci se traduit ensuite par des « émerveillements » quasi-juvéniles face aux explications que l’on peut pour lui proposer en présence de résultats (d’estimations) contre-intuitifs ou en opposition avec la littérature. En l’occurrence l’effet de l’éducation de la mère ressorti comme non significatif dans l’analyse des résultats scolaires[1]

    Il en sera de même pour l’explication de l’effet négatif de « l’origine ville » pour l’analyse de l’insertion sur le marché du travail des lauréats des centres de formation professionnelle au Maroc (lien-2). Alors qu’on aurait pensé qu’être originaire de la ville accroît les chances de disposer d’un réseau social facilitant l’insertion, en fait un facteur « plus fort » compense ce fait : les jeunes originaires de la campagne et venant étudier en ville, se révélaient plus entreprenants dans la recherche d’un poste d’emploi, avec un salaire de réserve plus bas que celui de leurs camarades citadins (qui bénéficiaient du logement avec les parents et même d’argent de poche). Ces jeunes d’origine rurale répugnant à retourner à la campagne, réduisaient ainsi leur durée[2] de chômage par rapport à leurs camarades citadins.

    Par les travaux de recherche menés ensemble (autre exemple : « les choix de filières universitaires des bacheliers à Casablanca » (lien-3)), ou par l’encadrement de thèses (la demande d’enfants, la demande de soins, la participation de la participation des femmes au marché du travail au Maroc…), Claude a permis au Lasaare (Laboratoire de statistique appliquée à l’analyse et la recherche en économie) de grandir, après sa création en 1994. Ce sont depuis, des générations d’étudiants et chercheurs de l’Université Hassan II Casablanca comme ceux de Clermont-Auvergne notamment mais aussi d’autres universités (Genève, Paris 1, Palacky / Olomouc, FTU/Vietnam…) qui viennent chaque année en stage pour des études d’économie appliquée. Il a toujours su tirer le meilleur de chacune et chacun de ses interlocuteurs, grâce à son attention et humilité et à la pertinence de ses questions.

    Plusieurs axes sur lesquels nous sommes depuis, ont été inspirés d’une manière ou d’une autre, par les échanges avec Claude : outre l’économie de l’éducation (lien-4)), il y a notamment l’économie de la santé (lien-4 et lien-5) ou encore l’économie informelle et la microfinance.

    Encore récemment, sa fidélité à l’amitié n’a pas défailli quand je l’avais sollicité pour venir assurer la conférence inaugurale des JMA de Juin 2019 tenues à Casablanca. Malgré ses diverses contraintes, il n’a pas hésité une seconde à répondre positivement et à venir pour un séjour très court certes, mais intense grâce à son enthousiasme. Les propos qu’il a tenu sur l’éducation avec le retour sur son arrêt des études à 16 ans, confirment son intérêt particulier pour la discipline (lien-6) et son naturelle envie de partager son savoir et à développer celui des autres. Son impressionnante assiduité aux différents ateliers durant les deux journées, défie celle des jeunes chercheurs à vouloir apprendre.

    Au plan humain, je souhaite relater (encore une fois) ses émerveillements d’enfants, devant la diversité des couleurs des légumes d’un couscous ou après avoir dégusté une orange sur la terrasse d’un café-restaurant : il marque un long temps de silence (presque intriguant), pour ensuite dire « Fouzi, aujourd’hui j’ai mangé une orange[3] !». Il y a encore sa joie à déambuler dans un souk rural, à admirer un plateau prédésertique sur la route de Marrakech. Je me remémore ses discussions passionnées avec Amal sur le marxisme et les limites des mécanismes du marché.

    Je voudrai insister sur son empathie et sa générosité envers les autres. Dernier fait en date : début Juillet 2021, il nous a consacré, malgré son état affaibli, une partie d’une matinée, pour nous donner un feed-back sur notre étude en cours, relative aux stratégies pour la promotion des activités culturelles et créatives au Maroc : il nous a éclairé sur les méthodologies et a nuancé nos hypothèses. 

    On dit que les enfants sont de petits Hommes et les Hommes de grands enfants, j’ajouterai que Claude a su garder la part d’enfant en lui, d’où sa curiosité et son profond goût pour la recherche.

    Je ne saurai clore cet amical hommage, sans mentionner : i) André Martens qui a été à l’origine de ma rencontre avec Claude, un jour de Novembre 1988 ; il avait organisé un dîner à l’issue d’une conférence que j’avais donnée au département de sciences économiques de Montréal, pour discuter les réformes macroéconomiques et financières au Maroc. Dès ce dîner j’avais perçu le regard et l’écoute bienveillants du professeur Claude Montmarquette. André a ensuite facilité, en tant que coordonnateur du programme PARADI de l’ACDI, plusieurs missions de Claude ; ii) Clive Gray avec qui Claude avait lié une amitié et qui en tant que chargé du projet privatisation de l’US-AID à Rabat avait également financé une mission durant laquelle Claude avait expliqué aux collègues de l’Université Mohamed V, comment développer la recherche au sein d’un laboratoire, sur la base de son expérience avec Marcel Dagenais et d’autres de ses collègues au département de sciences économiques de l’Université de Montréal; iii) Mohamed Bennani, alors doyen de notre faculté, qui partageait un grand estime avec Claude et qui m’avait facilité la vie comme enseignant débutant, pour mettre en place de telles coopérations.

    Pour finir, je cite la conclusion de Youssef Bouazizi, un de nos doctorants qui m’écrivait ses condoléances « À la Providence appartient ce qu’elle a repris et à Claude appartient ce dont Il a fait don ».


    [1] En fait, connaissant l’âge des mamans des élèves, nous avons établis le lien avec les conditions du marché du travail marocain qui était à l’époque très preneur et avons pu expliquer ainsi que les diplômées ne pouvaient suivre leurs enfants et qu’il était d’usage qu’elles les confient à des petites filles illettrées, venues de la campagne comme aide-ménagère et comme « puéricultrices ». Une bonne partie des enfants ne profitaient alors plus de l’éducation de leur maman ; d’où la non significativité du coefficient.

    [2] C’est ainsi grâce à Claude que nous avons été introduits à l’usage des modèles de durée que nous avons par la suite appliqués pour étudier l’accès au logement au Maroc (et permis d’éclairer les décideurs qui mettaient en place des programme de soutien, tels que les fonds de garantie pour le financement de logements des populations modestes : FOGARIM) ou encore pour étudier la durée du célibat…

    [3] Il voulait souligner son appréciation de la fraicheur et du parfum de l’orange en question. Il semblait « découvrir » et le révélait de façon si forte et spontanée.

  • Politiques de ciblage direct et limites de la microéconomie du développement « dominante » : Tayssir comme exemple. Par Yasser Y. Tamsamani

    Politiques de ciblage direct et limites de la microéconomie du développement « dominante » : Tayssir comme exemple. Par Yasser Y. Tamsamani

     

    Tayssir est un programme de transfert monétaire conditionné, introduit au Maroc pour inciter les parents à scolariser leurs enfants (voir billet n°16)[1]. Ses concepteurs ne lui attribuent explicitement aucune attache à des fondements théoriques particulières. Ils le veulent déraciné de tout référentiel normatif. Les arguments avancés au moment de sa conception et de son évaluation lors de la phase pilote relèvent à la fois du caractère opérationnel du programme et de son efficacité « approuvée » par une expérimentation sur le terrain, et du fait que des mesures similaires ont été implémentées ailleurs.

    Le fait que cette mesure ait été adoptée simultanément par plusieurs pays ne prouve pas forcément son efficacité dans le cas du Maroc, mais il reflète simplement la promotion que les institutions internationales en font ici et là et l’appui (financier et notamment « scientifique ») qu’elles lui apportent. Cet argument ne tient pas et peut être facilement réfuté voire inversé : ce n’est pas parce que les politiques de transferts monétaires et de ciblage individualisé se généralisent que les institutions internationales les recommandent mais c’est plutôt parce qu’elles les recommandent vivement que ces politiques gagnent du terrain dans les pays en développement. Autrement, pour que cet argument ne soit pas tautologique, il faudrait accepter des postulats restrictifs et non conformes aux faits, selon lesquels les préférences des parents d’élèves sont partout uniformes, comme si ce que représente l’éducation des enfants à leurs yeux transcende les cultures, l’espace et le temps. Ce qui est très peu probable sauf dans le cas où les parents se comporteraient comme des « montres anthropologiques » (un terme utilisé par P. Bourdieu (1997) pour décrire l’Homo economicus[2]) dont la conduite est indépendante de la diversité de leurs contextes, de leurs conditions sociales et de leurs états psychologiques.

    En revanche, les arguments de l’opérationnalité et de l’efficacité sur lesquels s’appuient les défenseurs des politiques de ciblage monétaire et individualisé sont plus recevables et méritent qu’on s’y attarde. D’abord, le caractère opérationnel du ciblage monétaire est sujet à caution car il doit surmonter des difficultés pratiques insolubles de définition du seuil à partir duquel une personne est éligible à l’aide (une difficulté qui se dissipe si l’aide est « très » dégressive, ce qui par ailleurs complique considérablement son implémentation), du montant de l’aide à partir duquel un changement des comportements peut se déclencher, et de présence de passagers clandestins (dit également, biais d’inclusion des non éligibles[3]).

    Ensuite, il y a l’argument de l’efficacité des aides monétaires qui, elle, est fondée sur un exercice d’interpellation des informations qui remontent du terrain, en recourant soit aux techniques de l’expérimentation aléatoire pour une évaluation souvent ex-ante de la mesure (Benhassine, N. , F. Devoto, E. Duflo, P. Dupas, and V. Pouliquen, 2015), soit aux études d’impact ex-post à partir des données d’enquête (Ikira, 2021). Dans les deux cas, la démarche se veut positive et dans les deux cas il n’est souvent pas question de comparer la portée de cette mesure par rapport à d’autres mesures alternatives.

    Cet exercice d’évaluation des politiques publiques est certes important pour rectifier en permanence le tir et corriger les insuffisances soulevées, mais la genèse de ces politiques et le cheminement intellectuel qui conduit à les sélectionner parmi tant d’autres mesures possibles l’est également et conditionne ses chances de réussite. Dans ce sens, le choix de la mise en place d’un programme de ciblage monétaire individualisé comme Tayssir, à la place d’autres mesures collectives et/ou non monétaires, requièrent au préalable certaines réponses, qu’elles soient annoncées explicitement ou non, aux questions suivantes : le comportement des individus est-il plus sensible et réactif à l’argent qu’à d’autres mobiles (mimétisme, coutume, réciprocité, rapports sociaux, loi, morale, émotions, etc.) ? Le rapport à l’argent est-il le même quel que soit le bénéficiaire du programmes Tayssir ? En quoi les transferts monétaires sont plus efficaces que les transferts en nature ? En quoi également le ciblage individualisé serait préférable à une autogestion collective ou à des services publics accessibles à tous (soutien scolaire, éducation des parents à la psychologie de l’enfant, etc.) ? Et comment envisage-t-on le passage d’une mesure qui vise les individus, pris séparément, à une amélioration du niveau de l’éducation à l’échelle du pays ?

    Il va sans dire que les réponses à ces questions nécessitent une mobilisation d’autres disciplines (psychologie, anthropologie, histoire, sociologie) que l’économie et requièrent des compromis politiques ainsi qu’une réelle immersion de terrain menée par les chercheurs qui le connaissent (l’« industrie » de l’expérimentation aléatoire, retenue pour évaluer le programme Tayssir, risque de ne pas pouvoir répondre à cette dernière préoccupation (Jatteau, 2016)). Dans ce contexte, la solution du ciblage monétaire individualisé, propulsée par l’économie du développement dominante face au problème du déficit d’éducation ou de la pauvreté dans les pays en développement s’avère d’emblée simpliste (voir la section suivante) et simplificatrice des raisons profondes de ces phénomènes. J. M. Servet (2018) rapporte que dans son allocution lors de la conférence annuelle de la Royal Economic Society de 2016, E. Duflo, figure emblématique de cette économie du développement, indique que ses recherches portent uniquement sur « les effets des causes » et non sur les causes elles-mêmes. Ce qui revient à traiter les symptômes de la maladie sans chercher à la guérir.

    Pour contourner les questions posées plus haut, la démarche positive et l’expérimentation en particulier, n’auront pas d’autres choix que : i/ d’évaluer toutes les mesures alternatives au ciblage monétaire individualisé pour conclure au bout de l’exercice à la supériorité de celui-ci ; ii/ d’élargir le champs couvert par l’expérimentation à plusieurs échantillons afin de limiter la portée de problèmes que posent la généralisation de la mesure à l’ensemble de la population pour que les mêmes effets attendus sur le plan des comportements individuels puissent être observés à l’échelle macroéconomique ; iii/ de prévoir toutes les externalités que risquent d’engendrer le programme sur d’autres comportements et activités si l’on veut mesurer correctement l’effet final du programme (après bouclage macroéconomique). Or ceci n’est pas possible à cause de ses coûts élevés. Du coup, bien qu’elle a précédé la mise en place du programme Tayssir, l’expérimentation ne peut alors être mobilisée pour justifier la genèse du programme mais simplement évaluer son impact limité dans un contexte particulier (celui de l’expérimentation).

    De ce fait, le choix de la « bonne » incitation (le ciblage monétaire ici) parmi tant d’autres possibilités ne peut se faire sans se rapporter à un référentiel théorique clair en mesure de répondre aux questions soulevées plus haut et de définir lequel des programmes possibles est optimal et sous quelles conditions.

    De l’origine théorique du ciblage monétaire direct et de Tayssir en particulier …

    Le référentiel théorique qui débouche sur la recommandation de politiques du ciblage monétaire direct est celui de la microéconomie du développement dominante qui fait écho à la « nouvelle théorie du consommateur », initiée par G. Becker et K. Lancaster. Ce courant a progressivement pris la place qu’occupaient les grands récits sur le développement des années d’après-guerre et qui ont enrichi les schémas explicatifs du sous-développement en considérant, outre les aspects purement économiques, les dimensions politiques, culturelles, historiques, voire, des fois, géographiques. Tandis que pour ce courant de pensée, les causes du sous-développement sont à chercher uniquement au niveau des comportements calculateurs individuels des populations concernées.

    D’après ses défenseurs, « il n’y a pas d’économie du développement au sens strict du terme, seulement de la bonne[4] microéconomie (empirique et théorique) qui prend les pays en développement comme sujet d’analyse » (Sadoulet, E. et J.L. Arcand, 1997). Seize ans plus tard, dans un état des lieux de la discipline, publié dans la même revue, la posture ne change pas et la supériorité du « moindre jeu » a été consacrée (De Janvry, A. et É., Sadoulet, 2013)[5].

    Tayssir et les autres programmes basés sur le ciblage monétaire individualisé découlent de cette « nouvelle » économie du développement, celle qui se donne comme objet de recherche la quête de « bonnes » incitations individualisées. Comme si le sous-développement se mesurait au nombre de « mauvaises » incitations contenues au sein d’une économie! Selon cette approche, les agents économiques, pris individuellement, réagissent consciemment et quasi-uniquement aux incitations. Et comme ces dernières peuvent prendre plusieurs formes, il faut choisir parmi elles, les « bonnes » incitations, c’est-à-dire celles qui relèvent des arguments (revenu et prix) intervenant au niveau du programme d’optimisation d’une fonction d’utilité sous contrainte de revenus et dont les termes ne sont pas des produits finaux mais des combinaisons de ceux-ci avec le temps nécessaire pour leur consommation. Le temps chronologique étant limité, l’agent économique se trouve contraint, avant de prendre la moindre décision, à arbitrer entre allouer son temps au travail et en tirer un revenu ou bien le consacrer à la consommation des biens et services dont, en l’occurrence, l’éducation des enfants.

    A titre d’exemple, entre préparer à diner chez soi et aller le prendre dans un restaurant, le choix d’un agent rationnel va d’autant plus pencher pour la deuxième option que le taux de salaire, multiplié par le temps nécessaire à la préparation du dîner, qui détermine le coût d’opportunité de la première option est supérieur aux revenus tirés du travail supplémentaire minorés du prix du repas au restaurant. Poussant le raisonnement plus loin et schématisant, la promotion de l’activité des restaurants passe alors, selon ce cadre d’analyse, soit par une hausse de la rémunération des heures du travail supplémentaire, soit par une baisse des prix des repas pris à l’extérieur. Les goûts, l’état psychique et la prédisposition à sortir ou à rester chez soi, le hasard du calendrier (anniversaire, match de foot, etc.), les préférences des compagnons, et les conditions de l’offre ne sont censés avoir aucun effet sur les choix de diner d’un agent rationnel : seul le calcul coût-bénéfice en termes monétaire qui compterait[6].

    Pour Tayssir, la logique est plus ou moins similaire : la réduction, par le transfert d’argent aux parents, des coûts d’opportunité relatifs à l’éducation des enfants est censée inciter ces derniers à scolariser leurs enfants ou à faire en sorte qu’ils n’en sortent pas trop tôt. Sauf que, si on se réfère à l’analyse coût-bénéfice, elle-même, ces incitations ne peuvent agir sur le choix des parents que si les revenus futurs augmentent avec le niveau d’éducation de leurs enfants. Or, dans une économie en développement, gangrenée par la rente où la qualité de l’éducation laisse à désirer et où les inégalités renforcent le jeu de la reproduction sociale, un niveau d’éducation élevé n’est pas forcément synonyme d’une rémunération élevée comme le suppose la théorie du capital humain.

    De ce fait, Tayssir semble être un choix de facilité : à défaut d’intervenir au niveau du rendement de l’éducation (deuxième volet de l’analyse coût-bénéfice) qui nécessite des réformes profondes de l’économie et une certaine rupture avec le système éducatif en place. Se focaliser alors sur Tayssir sans promouvoir les politiques qui améliorent le rendement monétaire marginal de l’éducation pourrait expliquer pourquoi celui-ci n’est au mieux qu’un instrument qui maximise le nombre d’enfants inscrits à l’école et non une mesure incitative pour un meilleur apprentissage et un développement des capacités cognitives des enfants. Et sans ces deux derniers aspects, maintenir les élèves sur les bancs de l’école risque de n’avoir aucun effet ni sur leur propre avenir ni sur le développement du pays (Brunet-Jailly, 2020). De fait, Tayssir ne fait que retarder pour plus tard l’abandon scolaire et accentuer un problème déjà existant : augmenter le nombre des diplômés chômeurs dont le diplôme ne reflète pas leurs compétences réelles (le mauvais classement des élèves marocains dans TIMSS en 2015 ou PISA en 2018 en est un signe précurseur) et, pour les chanceux qui finissent par décrocher un poste, les risques de sous-emploi et de déclassement devraient les guetter (Kabboul, G., M. Eddari, A. Ezzrari et F. Mourji, 2020).

    Au-delà de ce cadre d’analyse standard, les facteurs agissant sur l’éducation des enfants sont multiples et interdépendants, et les transferts monétaires n’en constituent qu’un parmi les autres qui ne peuvent aboutir à infléchir les comportements des parents dans le sens souhaité que dans deux situations. La première est celle qui fait le postulat simpliste et peu réaliste selon lequel le manque d’argent est le principal frein à la demande d’éducation. Or une enquête qualitative semi-directive sur le terrain[7], que nous avons menée auprès des ménages ruraux pauvres dans la province de Médiouna, nous a révélé, sans surprise, que le rapport à l’éducation des enfants est ambivalent. Les facteurs qui l’influencent s’imbriquent et relèvent aussi bien de la décision souveraine des parents (justifiée tantôt par l’intérêt de l’enfant tantôt par la réalisation de soi)  que des facteurs externes indépendants (ignorance de la psychologie de l’enfant chez les parents, environnement familial et voisinage, présence d’une école privée à proximité, manque de communication avec les institutions et les enseignants, offre éducative et infrastructures d’accompagnement insuffisantes, considérations morales et éthiques,  etc.). Le niveau de vie ne ressort que comme l’un de ces différents aspects, et qui n’est pas cité comme la principale entrave à l’éducation des enfants.

    La deuxième situation où les transferts monétaires peuvent être utiles c’est lorsque les parents se comportent en homo economicus et intériorisent les hypothèses de base contenues dans le modèle standard de sorte à ce que la complexité de la réalité se dissout et le processus de décision se conforme à la mécanique décrite dans  la théorie dominante (Lazear, 2000). Ces hypothèses sont principalement l’individualisme méthodologique et la rationalité optimisatrice. Elles ont été discutées et critiquées abondamment dans la littérature.

    Ce qui va nous intéresser dans la suite, ce sont plutôt les implications pratiques de ces hypothèses. Bien que, à la base, l’écart entre celles-ci et la réalité observée n’autorise pas la remise en cause de la cohérence interne de la construction théorique qui en découle (c’est le propre de la démarche déductive), le passage de l’élégance de la pensée et de sa formalisation mathématique à des recommandations opérationnelles qui agissent sur la vie des gens risque de conduire à des résultats contre-productifs et à des comportements non souhaités, en décalage avec l’objectif initial du programme.

    …à pourquoi ce ciblage monétaire direct et Tayssir en particulier ont plus de chance de ne pas fonctionner ?

    Dans son livre intitulé Les stratégies absurdes, l’économiste M. Beauvallet (2009) rapporte, parmi d’autres exemples d’incitations monétaires inadaptées, qu’un jour un directeur d’un centre de transfusion sanguine, voulant augmenter ses stocks a eu la « peu » brillante idée d’instaurer une prime pour les donateurs du sang. Le résultat a été contre-productif : les donneurs ne se sont pas révélés des homo economecus, adeptes du calcul monétaire coût-bénéfice, et ils ont déserté son centre de transfusion sanguine. Le directeur en question, comme pour les micro-économistes du développement adeptes du ciblage monétaire face à la pauvreté et l’abondant scolaire, avait mal évalué le vrai mobile derrière l’acte de générosité, de responsabilité civile et d’empathie des donateurs du sang.

    Outre le risque que ces programmes conformes au raisonnement de la micro-économie du développement dominante soient contre-productifs, il y a également le risque qu’au moment de leur implémentation les bénéficiaires les utilisent pour d’autres fins que celles auxquelles ils ont été destinés initialement. L’histoire la plus médiatisée à ce propos est celle du détournement d’usage des moustiquaires imprégnés d’insecticide distribués gratuitement dans la lutte contre le paludisme en Afrique. Les bénéficiaires leur ont trouvé d’autres usages (dans la pêche, pour fabriquer des poulaillers ou même pour en faire des filets de but !) en phase avec ce qu’eux-mêmes ont jugé pertinent[8].

    Des comportements contre-productifs et des usages détournés des mesures incitatives sont tout à fait envisageables également dans le cas du ciblage monétaire individualisé de la pauvreté et du programme Tayssir en particulier. A propos de ce dernier, nous commençons à avoir déjà les premiers résultats d’études d’impact pointant du doigt son inefficacité. M. Ikira (2021), appliquant l’analyse d’impact pour estimer les résultats de Tayssir, démontre que l’objectif élémentaire (le plus intuitif et qui va de soi) du programme, celui du maintien des élèves à l’école, n’est atteint que pour les couches sociales les moins défavorisées, soient les ménages qui ont le moins besoin d’aide monétaire !

    Et bien sûr, selon les défenseurs de ce courant de pensée, les causes de l’inefficacité de ce genre de mesures sont à chercher du côté des modalités d’implémentation (faiblesse des institutions, aides insuffisantes, etc.) ou des erreurs de jugement des bénéficiaires, mais jamais du côté de sa philosophie sous-jacente ! Et comment peut-on remettre en cause les soubassement théoriques d’une démarche qui se déclare (faussement) a-théorique !

    Par Yasser Y. Tamsamani, Docteur en économie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.


    Bibliographie

    Beauvallet, M. (2009). Les Stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux. Éditions du Seuil.

    Benhassine, N. , F. Devoto, E. Duflo, P. Dupas, and V. Pouliquen. (2015). Turning a Shove into a Nudge? A « Labeled Cash Transfer » for Education. American Economic Journal: Economic Policy, 7(3).

    Bourdieu, P. (1997). Le champ économique,. In : Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 119.

    Brunet-Jailly, J. (2020). Education : seule la qualité compte! Revue réflexions économiques(1).

    De Janvry, A. et É., Sadoulet. (2013). Soixante ans d’économie du développement : qu’avons-nous appris pour le développement économique ? Revue d’économie du développement, 21(2).

    Duflo, E. (2009). Expérience, science et lutte contre la pauvreté. Fayard, Paris.

    Egrot, M et al. (2018). Reports of long-lasting insecticidal bed nets catching on fire: a threat to bed net users and to successful malaria control? Malaria Journal, 13(247).

    Ikira, M. (2021). Évaluation de la politique en matière d’éducation et intérférence des caractéristiques socioéconomiques : cas du programme Tayssir. Thèse soutenue à l’Université Hassan II de Casablanca.

    Jatteau, A. (2016). Faire preuve par le chiffre ? Le cas des exprimentations aléatoires en économie . Thèse de doctorat soutenue à l’ENS Cachan.

    Kabboul, G., M. Eddari, A. Ezzrari et F. Mourji. (2020). Le déclassement des jeunes sur le marché du travail marocain. Revue réfléxions économiques(1).

    Lazear, E. (2000). Economic Imperialism. Quarterly Journal of Economics, 1(115).

    Sadoulet, E. et J.L. Arcand. (1997). Microéconomie du développement : Quo Vadis ? Revue d’économie du développement(2).

    Servet, J. M. (2018). L’économie comportementale en question. Paris: Editions Charles Léopard Mayer.

    The World Bank. (2015). Mind, society and behavior. Washington: world development report.


    [1] Je remercie M. Audibert et F. Mourji pour leur lecture respective et les échanges qu’on ait eu autour de la thématique de ce billet.

    [2] Conscient du cadre restrictif que représente l’homo economicus pour comprendre le comportement humain, la Banque mondiale a consacré son rapport phare sur le développement dans le monde de (2015) à la question du processus de prise de décision des bénéficiaires des programmes de développement. Dans sa première partie, le rapport élargit le champ des facteurs expliquant les réactions des individus à des incitations à des aspects psychologiques, sociaux et moraux. Sauf que, dans la deuxième partie du rapport où plusieurs exemples concrets de politiques de développement sont présentés pour illustrer une telle ouverture enrichissante, on retrouve certains traits de l’homo economicus et de la microéconomie du développement dominante (individualisme méthodologique, primauté des incitations monétaires, louange à l’épargne, etc.). En effet, on lit clairement dès les premières pages du rapport que « The new approaches do not replace standard economics. But the new approaches enhance our understanding of the development process and the way development policies and interventions can be designed and implemented ».

    [3] Après une période du ciblage territorial des communes pauvres, Tayssir a été généralisé à partir de la rentrée scolaire 2018 à tous les parents détenteurs de la carte RAMED. On peut voir dans cette généralisation une correction des biais d’inclusion et d’exclusion inhérents au ciblage territorial. Mais, en réalité, celle-ci ne fait que déplacer le problème. Au début, le risque était de financer des non pauvres habitant des communes pauvres et d’exclure de l’aide des pauvres résidant dans des communes non pauvres. Maintenant, le risque est de subventionner les non pauvres ayant réussi à avoir la carte RAMED, au détriment des pauvres qui ne sont pas inscrits ou réinscrits au RAMED.

    [4] C’est l’auteur de ce billet qui souligne.

    [5] Un son de cloche proche s’entend du côté de l’approche expérimentale. E. Duflo (2009) stipule que « le modèle macroéconomique se construit comme un mécano, à partir des blocs microéconomiques ». Le rapprochement entre cette branche de la démarche empirique et les fondements théoriques de la nouvelle théorie du consommateur s’observe également à ce niveau.

    [6] Quand bien même des facteurs psychologiques ou sociaux peuvent intégrer la fonction décisionnelle de l’homo economicus, comme dans le cas du rapport de la Banque mondiale de 2015, ils ne sont considérés qu’à la lumière des gains potentiels latents qu’ils peuvent engendrer. Ainsi, les interactions entre les membres de la société se réduisent à des rapports intéressés, d’une manière ou d’une autre, qui devraient assurer à chacun suffisamment de satisfaction matérielle ou/et symbolique pour l’inciter à « bien » réagir aux programmes déployés. Ces facteurs n’ont aucune finalité intrinsèque.

    [7] Cette enquête a été menée à la veille de la crise sanitaire avec la participation d’un groupe d’étudiants constitué de Nour, Salma et Marouane que je remercie ici. L’objectif était de mieux préparer le questionnaire pour une enquête quantitative plus large centrée sur la question de la valeur de l’éducation aux yeux des marocains. Malheureusement, la crise sanitaire nous a obligé de reporter à une date ultérieure ce travail.

    [8] L’approche anthropologique nous éclaire grandement en ce sens. Des anthropologues se sont en effet penchés sur l’acceptabilité des programmes et l’utilisation des innovations proposées aux bénéficiaires. Ils mettent en évidence une utilisation « par dérivation et procuration ». Ces études sont très instructives car elles mettent en évidence le fait qu’une conception de programmes née sans se préoccuper des véritables attentes potentielles des bénéficiaires ne peut qu’échouer (Egrot, M et al., 2018).

     

  • Le soutien à la scolarisation au Maroc : Portée et limites du programme Tayssir. Par Fouzi Mourji, Marouane Ikira et Claire Ricard

    Le soutien à la scolarisation au Maroc : Portée et limites du programme Tayssir. Par Fouzi Mourji, Marouane Ikira et Claire Ricard

    Au Maroc l’éducation absorbe une part importante du budget de l’Etat et constitue d’un autre côté une lourde charge dans les dépenses des ménages. Cela signifie que les efforts déployés sont très significatifs, pourtant les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances : au niveau des acquisitions, les élèves et collégiens marocains ne performent pas. En 2015, avec un score de 377, le Maroc se trouve à l’avant dernier rang dans les tests TIMSS, harmonisés au niveau international, en mathématiques pour le niveau de la 4ème année du primaire. Le score moyen au niveau international est de 500 points. En 2019, le Maroc demeure classé parmi les quatre derniers. De plus, comme corolaire de cette réalité, les compétences des diplômés ne semblent pas avérées quand on observe les tendances de leur emploi ou celles de la productivité au Maroc.

    Ce billet a pour objectif de rendre compte de quelques travaux sur les effets du programme Tayssir. Nous anticipons de présenter aux lectrices et lecteurs, dans un proche avenir, une réflexion sur les effets des autres programmes de soutiens scolaires, que sont les opérations du « million de cartables », les cantines, Dar Taliba et Dar Talib et enfin les aides aux transports scolaires.

    Genèse et caractéristiques du programme Tayssir

    Au niveau international, les programmes de transferts monétaires sont censés constituer un des moyens pour la réduction de la pauvreté et de la vulnérabilité dans les pays en développement, notamment chez les enfants (Skoufias & Di Maro, 2008 ; Handa et al., 2013 ; Skoufias et al., 2013). Théoriquement, ils sont introduits en vue d’améliorer la fréquentation scolaire, la nutrition, l’utilisation des services de santé et aussi afin de réduire le travail des enfants (Prado et Dewey, 2014 ; De Hoop et al, 2017). Au moins 63 pays appliquent actuellement des programmes de transferts monétaires (Bastagli et al., 2016). Le Maroc en fait partie depuis 2008 avec son programme de transferts pour soutenir l’éducation : Tayssir.
    Ce programme consiste à accorder aux ménages modestes, des aides conditionnelles à la présence en classe de leurs enfants âgés de 6 à 15 ans. Il cible dans sa version initiale, les écoles situées dans les communes où le taux de pauvreté est supérieur à 30% selon la carte de la pauvreté monétaire de 2004 élaborée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Son objectif principal est de réduire l’abandon scolaire.
    La mise en place de Tayssir s’est faite progressivement. La phase pilote a été lancée en 2008-2009 et 2009-2010 et a ciblé les écoles primaires dans 5 régions et 132 municipalités où le taux de pauvreté était supérieur à 30 % et le taux d’abandon scolaire supérieur à 8 %.
    Ensuite, les critères d’abandon n’ont plus été utilisés et le programme a été étendu à l’ensemble des communes rurales où le taux de pauvreté était supérieur à 30%. A partir de 2011-2012, les élèves bénéficiaires ont pu continuer à percevoir le transfert au collège.
    Jusqu’en septembre 2018, dans 434 municipalités, les ménages comportant des enfants percevaient des subsides dans le cadre de Tayssir (figure 1). Depuis la rentrée 2018, il a été généralisé, ainsi l’éligibilité au programme est dorénavant conditionnée seulement par la détention de la carte RAMED, quelle que soit la commune de résidence.

    Figure 1 : Communes bénéficiaires et non bénéficiaires

    Figure 1 : Communes bénéficiaires et non bénéficiaires

    Les ménages éligibles reçoivent 60DHs par mois et par enfant inscrit dans les deux premières années du primaire, 80 DHs les deux années suivantes, 100 DHs les deux dernières années du primaire et 150 DHs au collège. Le transfert est censé couvrir les dépenses d’éducation des ménages ruraux qui dépensent en moyenne 180DHs par an et par personne dans l’éducation. Il représente entre 5,76 % (pour le montant le plus faible) et 13,43 % (pour le montant le plus élevé) des dépenses totales moyennes par an et par personne en zone rurale (HCP, 2016). Pour percevoir le transfert, les parents doivent se rendre au bureau de poste de leur municipalité ou à la navette postale dans les régions plus enclavées. Si leur enfant a manqué les classes plus de 4 jours au cours du mois précédent s’il est à l’école primaire et plus de 6 jours s’il est au collège, le ménage ne perçoit pas le transfert pour le mois considéré.

    Bien qu’il n’y ait pas de cadre logique de l’évaluation du programme Tayssir, nous présentons dans une première section, son effet sur l’abandon scolaire et le travail des enfants. La deuxième section mesure l’impact du programme sur la réussite scolaire. Nous relevons cependant que le programme Tayssir n’a pas été suffisamment accompagné de mesures d’amélioration de l’offre éducative pour que le Maroc puisse pleinement profiter de son potentiel. Ainsi, le programme ne permet pas d’alléger le climat général qui connait : i) un absentéisme des enseignants, notamment en milieu rural avec souvent plusieurs niveaux dans la même classe et ii) une surcharge des classes en milieu urbain. Aussi, les parents ne sont pas incités à s’impliquer davantage dans l’éducation de leurs enfants. Dans la dernière section, nous analysons les effets de l’implication parentale sur les performances scolaires, sachant que des contreperformances au niveau de ces dernières contribuent pour une part à la propension à l’abandon.

    Tayssir, abandon scolaire et travail des enfants

    Pour discuter les effets de Tayssir sur l’abandon scolaire et le travail des enfants, nous utilisons la base de données de l’Observatoire National du Développement Humain (ONDH) en exploitant un échantillon de 3323 enfants issus de 1680 ménages ruraux et dont le taux de scolarisation est de 90,49%.

    Dans un premier temps, nous effectuons une analyse élémentaire de l’effet de Tayssir à l’aide de la méthode d’appariement par score de propension. Celle-ci met en exergue son effet positif et significatif sur la fréquentation scolaire et de la même manière ses conséquences sur la réduction du travail des enfants vivant en milieu rural (tableau 1).

    Tableau 1. Effet moyen du programme Tayssir sur la scolarisation et le travail des enfants en milieu rural

    VariableÉchantillonGroupe de traitementGroupe de contrôleDifférenceT-stat
    ScolarisationUnmatched94,3%89,24 %5,064.08
    ATT94,4 %86,85 %7,554.10
    TravailUnmatched4,47 %11,75 %-7,28-5.77
    ATT4,40 %11,78 %-7,38-4.31

    Source : Traitement à partir des données de l’enquête de l’ONDH.

    Ce résultat conforme à l’intuition, rejoint les expériences internationales (Glewwe et al. 2012 ; Attanasio et al. 2010) dans le sens où les transferts versés destinés aux ménages pauvres permettent de réduire le coût d’opportunité de l’éducation dans ces ménages (Parker et Skoufias., 2001). De même, la conclusion tirée de cette première analyse rejoint les enseignements des travaux analysant Tayssir dans sa phase pilote (Benhassine et al, 2013 ; JPAL, 2012).

    Cependant, en raison de la méthode de ciblage géographique opéré (ordre communal), un problème de correspondance entre les enfants éligibles et les bénéficiaires effectifs se pose. Ainsi de nombreux bénéficiaires ne sont pas forcément éligibles (biais d’inclusion) et inversement certains élèves non-bénéficiaires seraient éligibles (biais d’exclusion). De ce fait, le résultat obtenu dans la première analyse ne permet pas de mesurer la portée réelle du programme par rapport aux enfants qui méritent d’être ciblés en priorité.

    La prise en compte du critère d’éligibilité nous a permis d’affiner l’analyse, en focalisant cette fois sur les bénéficiaires « méritants ». Les résultats montrent que le programme Tayssir est sans effet significatif sur la fréquentation de l’école par les enfants les plus pauvres (tableau 2). Cet effet non significatif est observé aussi quand on étudie la réduction du travail des enfants.

    Tableau 2. Estimation par variable instrumentale de l’effet causal de Tayssir.

    ScolarisationScolarisationTravailTravail
     First stageSecond stageFirst stageSecond stage
    Tayssir 0.0280
    (0.74)
     -0.0179
    (-1.04)
    Age de l’enfant0.0042
    (1.36)
    -0.0355
    (-5.10)***
    0.0042
    (1.36)
    0.0752
    (7.03)***
    Sexe de l’enfant (M : référence)0.0049
    (0.27)
    -0.0495
    (-3.68)***
    0.0049
    (0.27)
    -0.0195
    (-3.20)***
    Proportion d’enfants dans le ménage0.1302
    (1.90)**
    -0.0347
    (-0.68)
    0.1302
    (1.90)**
    0.0620
    (2.66)***
    Chef du ménage analphabète-0.0153
    (-1.18)
    0.0062
    (0.32)
    -0.0153
    (-1.18)
    0.0144
    (1.64)
    Chef du ménage actif occupé-0.0088
    (-2.98)***
    0.0405
    (4.17)***
    -0.0088 
    (-2.98)***
    0.0107
    (2.44)***
    Sexe du CM (M : référence)-0.0184
    (-0.49)
    0.0249
    (0.89)
    -0.0184
    (-0.49)
    -0.0163
    (-1.29)
    L’instrument Z0.3575
    (9.55)***
     0.3575
    (9.55)***
     
    _cons0.0020
    (1.03)
    0.3068
    (2.89)***
    0.0020
    (1.03)
    -0.0141
    (-0.59)
    R20.19160.14020.19160.0452
    (***) : Significatif au seuil de 1% ; (**) : Significatif au seuil de 5% ; (*) : Significatif au seuil de 10%

    Source : Traitement à partir des données de l’enquête ONDH

    Nous concluons que ce programme constitue un stimulateur de la demande d’éducation, mais pour être plus efficient, il devrait être accompagné d’un effort aussi important au niveau des conditions d’accès et de la qualité d’accueil. Il s’agit par exemples du transport pour parvenir à l’école, de la mise en place d’infrastructures sanitaires, surtout en milieu rural etc. En effet, nous relevons que les enfants éligibles doivent marcher en moyenne plus de 3 km pour rejoindre l’école primaire la plus proche. Cette situation engendre alors des charges supplémentaires relatives au coût de transport qui restreint la portée de l’effet de Tayssir : les coûts à supporter pour la scolarisation des enfants deviennent plus importants que les montants de l’aide accordée aux ménages. Les parents d’enfants habitant des localités montagneuses, très peu dotées en infrastructures routières, sont de ce fait peu incités à les envoyer à l’école, le montant des transferts se révèle insuffisant par rapport aux coûts que cela induit.

    En relation toujours avec les infrastructures de base, mais cette fois-ci à l’échelle des services publics, l’alimentation en eau potable étant limitée dans certaines zones rurales au Maroc (51,44% des ménages éligibles ne disposent pas de l’eau potable dans leur foyer), il revient aux enfants d’en alimenter le foyer, ce qui leur laisse moins de temps à consacrer à l’école et à l’effort que requiert la réussite et la poursuite des études. Ceci nous invite à évaluer l’effet de Tayssir sur la réussite scolaire.

    Tayssir et les résultats scolaires

    Comme nous l’avons vu précédemment, Tayssir a globalement permis de réduire l’abandon scolaire bien qu’il n’ait pas favorisé la scolarisation des plus pauvres. Nous nous demandons ici si la réduction de l’abandon scolaire permise par Tayssir a eu un effet sur la réussite des élèves.

    La question des effets d’un programme de transfert monétaire sur les performances des élèves a été soulevée dans plusieurs contextes, mais les résultats restent incertains. Au Mexique, Behrman et al. (2019) ont constaté que le programme PROSPERA avait un effet positif et significatif sur l’apprentissage. Au Cambodge, Filmer et Schady (2014) ne constatent aucun effet d’un programme similaire sur les compétences en mathématiques et en vocabulaire des enfants.

    L’impact d’un programme de transfert monétaire sur les performances scolaires peut résulter de plusieurs mécanismes aux effets contradictoires. Tout d’abord, d’après Avitabile et al. (2019), les programmes de transferts monétaires pourraient avoir un effet positif sur l’apprentissage des élèves en permettant aux parents d’acheter des livres ou du matériel scolaire mais aussi de la nourriture de meilleures consistance et qualité.

    Ensuite, par l’assiduité et un intérêt plus fort pour leur éducation, un programme comme Tayssir pourrait conduire à l’amélioration des résultats scolaires des élèves bénéficiaires. De plus, étant donné son ciblage géographique et non individuel, Tayssir aurait pu sensibiliser l’ensemble de la communauté socio-éducative à l’importance de l’éducation et motiver plus de personnes au sein de la communauté à améliorer les résultats des élèves. Or comme nous l’avons vu précédemment, les ménages les plus pauvres ne disposent pas des infrastructures de base telles que l’accès à l’eau courante et recourent alors aux enfants pour en alimenter le foyer. Ce manque limite l’implication des parents dans la réussite de leurs enfants. Enfin, si moins d’enfants abandonnent et qu’aucune autre classe n’est créée, il y a mécaniquement plus d’enfants par classe. Or, des classes plus chargées peuvent conduire à de moins bonnes performances car elles sont moins faciles à gérer pour un seul enseignant. De ce fait pour réussir, une action sur la demande d’éducation doit être accompagnée par un corolaire sur l’offre éducative.

    Par ailleurs, si davantage d’élèves restent à l’école grâce à Tayssir et parmi eux, ceux qui auraient abandonné (du fait de leurs mauvais résultats) s’ils ne recevaient pas de transferts, alors les performances globales de l’école en seraient réduites (Filmer et Schady, 2009). La présence d’élèves en difficulté pourrait aussi avoir un effet sur les performances individuelles des autres élèves de la classe à travers un phénomène de peer effect. Certains élèves pourraient être tentés d’imiter les élèves qui ne parviennent pas à s’adapter à la pédagogie de la classe. A l’inverse, les élèves qui comprennent ce que l’école attend d’eux peuvent influencer et aider les élèves qui rencontrent davantage de problèmes.

    Pour évaluer l’effet de Tayssir sur la réussite scolaire, nous utilisons les données issues du système d’information du Ministère de l’Éducation Nationale (MASSAR). La méthode de ciblage géographique du programme nous permet de comparer les résultats aux examens de fin de primaire dans les communes proches du seuil de ciblage afin d’isoler l’effet de Tayssir sur les communes ciblées. Nous comparons alors les communes ciblées dont le taux de pauvreté est compris entre 30 et 40% aux communes non-ciblées dont le taux de pauvreté est compris entre 20 et 30%[1].

    L’utilisation des résultats à l’examen harmonisé régional de fin de primaire nous permet de comparer les élèves bénéficiaires et non bénéficiaires sur une évaluation commune des connaissances. En nous concentrant sur ce niveau, nous éliminons tous les biais qui pourraient être induits par des différences de niveau de difficultés des contrôles d’une école à l’autre. Dans le cadre de ces examens, les épreuves ne sont pas corrigées par les professeurs de chaque école concernée ce qui limite les biais induits par une correction plus ou moins subjective quand les copies ne sont pas anonymes. Bien qu’une commission nationale garantisse un niveau de difficulté homogène entre les différents examens régionaux, nous préférons utiliser une mesure relative des performances des élèves aux examens. Nous divisons alors le score individuel par le score moyen au sein de la région.

    Nous trouvons que les garçons ont de moins bonnes notes à l’examen quand ils résident dans une commune ciblée par Tayssir (Tableau 3, Colonne 1, Panel B). Ce résultat reste valable même lorsqu’on contrôle pour le potentiel biais induit par la présence d’enfants qui sont restés scolarisés malgré leurs difficultés scolaires grâce à Tayssir (Tableau 3, Colonnes 2 à 5)[2].

    Tableau 3.  Effet de Tayssir sur les résultats aux examens de fin de primaire

    Tableau 3.  Effet de Tayssir sur les résultats aux examens de fin de primaire

    Tableau 4.  Effet de Tayssir sur la taille des classes, le redoublement et les changements d’école

    Tableau 4.  Effet de Tayssir sur la taille des classes, le redoublement et les changements d’école

    Tout d’abord, ce résultat pourrait être inhérent à des « effets pervers » : certains parents, n’ayant pas bien compris les mécanismes d’implémentation de Tayssir pourraient adopter une stratégie inattendue, en demandant à leurs enfants de redoubler pour qu’ils continuent à bénéficier des transferts. Cette hypothèse est rejetée par le panel B du tableau 4. Hormis en première année du primaire, il ne semble pas y avoir plus de redoublements dans les écoles ciblées par Tayssir. Les tableaux 4 et 5 soutiennent plutôt l’hypothèse selon laquelle l’effet négatif de Tayssir sur les performances scolaires serait expliqué par son effet sur la taille des classes. Nous observons dans le panel A du tableau 4 que Tayssir a effectivement conduit à une augmentation de la taille des classes dans les communes bénéficiaires (Panel A). Le tableau 5 confirme que les garçons performent moins bien à l’examen quand ils appartiennent à des classes plus grandes. Le panel C du tableau 4 rejette l’hypothèse selon laquelle l’augmentation de la taille des classes dans les communes Tayssir serait lié à un phénomène de migration selon lequel les enfants d’écoles non ciblées auraient changé d’école pour bénéficier du transfert. Ainsi, l’effet négatif de Tayssir sur les performances étudiées s’explique principalement par la réduction globale de l’abandon scolaire, à laquelle il conduit. En poussant davantage d’enfants à rester scolarisés, le programme a ajouté une pression supplémentaire sur les ressources éducatives déjà en place. Ce résultat rejoint celui évoqué plus haut selon lequel le programme Tayssir n’a pas été suffisamment accompagné d’une amélioration de l’offre éducative.

    Tableau 5.  Effet de la taille des classes sur les performances à l’examen de fin de primaire

    Tableau 5. Effet de la taille des classes sur les performances à l’examen de fin de primaire

    Tableau 6. Impact de Tayssir sur les dépenses d’enseignement et des loisirs.

    Tableau 5. Effet de la taille des classes sur les performances à l’examen de fin de primaire

    Nos résultats contribuent à expliquer le mauvais classement du Maroc dans les évaluations internationales de connaissances des élèves telles que TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) en 2015 ou PISA (Program for International Student Assessment) en 2018.

    Dans la continuité de la réflexion menée pour mettre en exergue les effets réels de Tayssir, nous avons jugé opportun de vérifier si les enfants arrivent à bénéficier du transfert reçu par le chef du ménage. En d’autres termes, cela revient à répondre au questionnement suivant : est-ce que toute politique qui cible les ménages pauvres aurait des retombées bénéfiques sur leurs enfants ?

    Pour y répondre, les dépenses d’enseignement et des loisirs par individu scolarisé se présentent comme un indicateur pertinent pour capter le bénéfice tiré par l’enfant dans les ménages bénéficiaires du programme. À travers une comparaison entre les bénéficiaires et les non-bénéficiaires qui présentent les mêmes caractéristiques observables (obtenus grâce à un appariement), nous remarquons que Tayssir ne parvient pas à modifier l’effort que fournissent les ménages pour l’éducation de leurs enfants (tableau 6). Ceci peut-être interpréter comme une insuffisante implication des parents. D’où l’intérêt de notre troisième réflexion qui porte sur le rôle de l’implication des parents dans les performances scolaires de leurs enfants.

    Implication parentale et performances scolaires

    Parmi les facteurs explicatifs des limites mentionnées au niveau des indicateurs scolaires, nous pensons à l’insuffisance d’une réelle implication des parents, c’est à la vérification de cette intuition que cette section est consacrée. La question nous semble pertinente car si une faible implication compromet la réussite scolaire, cette dernière conduit souvent à l’abandon (Diagne, 2010). Ainsi à terme, mêmes les résultats obtenus à ce niveau risquent à terme d’être compromis.

    Figure 2 : Attitudes des parents concernant la vie scolaire de leurs enfants

    Figure 2 : Attitudes des parents concernant la vie scolaire de leurs enfants

    En se basant sur l’édition 2015 des enquêtes TIMSS, l’intérêt de cette question est d’abord mis en exergue à travers une analyse comparative à l’échelle internationale, qui montre que l’écart de performances entre les élèves marocains et leurs homologues de la région MENA pourraient être dû à la faible implication des parents. À titre illustratif, seulement 52% des parents marocains demandent quotidiennement si leurs enfants ont fait leurs devoirs scolaires (Figure 2). Cette proportion demeure faible en comparaison avec d’autres pays réalisant de meilleures performances comme le Kazakhstan (91%), la Turquie (83,2%) et les Émirats arabes unis (73,3%).

    Ce constat nous a conduits à vérifier empiriquement l’effet causal de l’implication parentale sur les performances scolaires des élèves pour le cas du Maroc. Pour mesurer cette caractéristique parentale, nous nous basons sur la dimension «parents-enfant à domicile » illustrée dans le modèle théorique développé par Epstein (2011). Plus précisément, nous tentons de capter cette relation par le biais de l’investissement parental en termes d’aide et de supervision des devoirs scolaires. Ainsi nous calculons un indice composite à partir de divers indicateurs de mesure de de l’implication parentale, en appliquant une Analyse des Correspondances Multiples (ACM).

    Étant donné que la nature des données disponibles impose l’utilisation d’un modèle d’analyse à structure hiérarchique, nous recourons à un modèle multiniveaux qui confirme que l’implication des parents exerce un impact positif et significatif sur les performances des élèves. En outre, nous arrivons à une conclusion plus intéressante : l’effet de l’implication parentale est plus accentué parmi les plus pauvres (tableau 7).

    Tableau 7. Effet de l’implication parentale selon le niveau de vie

    Tableau 7. Effet de l'implication parentale selon le niveau de vie

    À la lumière de ces enseignements, nous suggérons que les décideurs publics cherchent à pallier l’insuffisant engagement des parents, notamment chez les moins éduqués. Car si le fait d’être engagé ou pas est considéré comme un choix chez les parents éduqués, il apparaît comme une fatalité chez les non éduqués.

    Conclusion

    Globalement notre recherche a révélé que la réussite d’un système éducatif est complexe, en particulier elle montre que les aides financières ne peuvent suffire à elles seules. Elles doivent être accompagnées de mesures de renforcement de l’offre éducative d’un côté et des actions sur la demande.

    La référence aux expériences d’autres pays nous conduit à recommander par exemple la mise en place de politiques complémentaires telles que des programmes ciblés de soutien scolaire. Dans ce sens, nous évoquons l’expérience du programme indien «Multilingual Education Intervention ». Celui-ci est destiné aux filles qui ne maitrisent pas d’autres langues que celle pratiquée au foyer. Une fois à l’établissement scolaire, ces filles se trouvent face à un handicap en raison de la langue d’enseignement non maitrisée. L’exemple de ce programme illustre une meilleure correspondance entre la raison de l’abandon scolaire (la langue d’enseignement) et la mesure introduite pour y remédier. Cette logique pourrait être transposée au contexte marocain, où certains enfants issus des familles berbères se trouvent face à un vrai obstacle lié à l’arabe classique utilisé comme langue d’enseignement (Van Staden et al, 2016 ; Sylva, 2014).

    Au niveau de la recherche, il importe de s’efforcer de comprendre les motivations profondes des parents et l’intérêt qu’ils portent à l’éducation de leurs enfants, avec idéalement une distinction des genres.

    Par Fouzi Mourji, Marouane Ikira et Claire Ricard, Equipe de recherche en Econométrie Appliquée, Université Hassan II-Casablanca

    Références 

    Attanasio O., Emla F., Ana G., Martha I.G., Costas M., & Alice M., (2010). Children’s Schooling and Work in the Presence of a Conditional Cash Transfer Program in Rural Colombia. Economic Development and Cultural Change, 58(2): 181-210.

    Avitabile, C., Cunha, J. M., & Meilman Cohn, R. (2019). The Medium Term Impacts of Cash and In-kind Food Transfers on Learning. Available at SSRN 3501896.

    Bastagli, F., Hagen-Zanker, J., Harman, L., Barca, V., Sturge, G., Schmidt, T., and Pellerano, L. (2016). Cash transfers: what does the evidence say. Overseas Development Institute Report.

    Behrman, J. R., S. W. Parker, and P. Todd (2019): “Impacts of PROSPERA on Enrollment, School Trajectories, and Learning,”.

    Benhassine, N., F. Devoto, E. Duflo, P. Dupas, & V. Pouliquen (2015). Turning a shove into a nudge? A ‘labeled cash transfer’ for education. American Economic Journal: Economy Policy. 7(3): 86–125.

    Cardoso E. and A. Portela Souza, (2004). The Impact Transfers on Child Labor and School Attendance in Brazil. Working paper, Vanderbilt University, n°0407.

    Chong, A. & Yáñez-Pagans, M. (2019). Not so fast! Cash transfers can increase child labor: Evidence for Bolivia. Economics Letters, 179(C): 57-61.

    De Hoop, J. J., J. Friedman, E. Kandpal, and F. C. Rosati (2017). Child schooling and child work in the presence of a partial education subsidy. Policy Research Working. Paper Series 8182, The World Bank.

    Diagne, A. (2010). Pourquoi les enfants africains quittent-ils l’école? Un modèle hiérarchique multinomial des abandons dans l’éducation primaire au Sénégal. L’Actualité économique, 86(3), 319–354.

    Filmer, D. and N. Schady (2009): School Enrollment, Selection And Test Scores: School Enrollment, Selection And Test Scores, The World Bank.

    ——— (2014): “The medium-term effects of scholarships in a low-income country,” Journal of Human Resources, 49, 663–694.

    Glewwe, P. & Kassouf, A.L. (2012). The Impact of the Bolsa Escola / Familia Conditional Cash Transfer Program on Enrollment, Dropout Rates and Grade Promotion in Brazil. Journal of Development Economics, 97(2): 505-517.

    Handa, S., Seidenfeld, D., Tembo, G., Prencipe, L., & Peterman, A. (2013). Zambia’s Child Grant Program: 24-month impact report. Washington DC, USA: American Institutes for Research.

    McNeal, R.B. (1999). Parental involvement as social capital: Differential effectiveness on science achievement, truancy, and dropping out. Social Forces, 78,117-144.

    Prado, E. L. et K. G. Dewey (2014). Nutrition and brain development in early life. Nutrition Reviews, 72 (4), 267–284.

    Skoufias, E., & Di Maro, V. (2008). Conditional cash transfers, adult work incentives, and poverty. The Journal of Development Studies, 44(7), 935-960.

    Skoufias, E., Unar, M., & Gonzalez de Cossio, T. (2013). The poverty impacts of cash and in-kind transfers: experimental evidence from rural Mexico. Journal of Development Effectiveness, 5(4), 401-429.

    Skoufias, E., & Parker, S., W., (2001). Conditional cash transfers and their impact on child work and schooling. FCND discussion papers 123, International Food Policy Research Institute (IFPRI).

    Sylva, K. (2014) The role of families and pre‐school in educational disadvantage, Oxford Review of Education, 40(6), 680–695.

    Van Staden, Surette, Bosker, Roel, & Bergbauer, Annika. (2016). Differences in achievement between home language and language of learning in South Africa: Evidence from prePIRLS 2011. South African Journal of Childhood Education, 6(1), 1-10.


    [1] Voir Gazeaud, J. & Ricard, C. (2021) Conditional Cash Transfers and the Learning Crisis : Evidence from Tayssir Scale-up in Morocco. pour plus de détails sur notre méthode d’estimation

    [2] Voir Gazeaud, J. & Ricard, C. (2021) Conditional Cash Transfers and the Learning Crisis : Evidence from Tayssir Scale-up in Morocco. pour plus de détails sur la manière dont nous contrôlons pour le potentiel biais de sélection induit par la réduction de l’abandon scolaire grâce à Tayssir

  • L’après-Covid: stratégie pour une présence dans la révolution technologique. Par Mohamed Bouassami

    L’après-Covid: stratégie pour une présence dans la révolution technologique. Par Mohamed Bouassami

    Le Maroc a fait montre, à travers la gestion de la crise sanitaire et le déroulement de la campagne de vaccination, d’une grande maitrise et d’une exceptionnelle capacité d’adaptation, de réactivité et de logistique organisationnelle sur le terrain, limitant ainsi la propagation du virus et le nombre de décès. La présence efficace et bienveillante des autorités sur le terrain a certainement contribué à entretenir l’élan de solidarité né à tous les niveaux et à affermir la cohésion sociale. Dans ce contexte, la sortie de la crise sanitaire peut être envisagée en capitalisant sur cet élan pour relever les défis qui nous attendent. Cependant, se contenter d’un plan classique de relance économique post-Covid, quand bien même il est ambitieux et d’une grande envergure, ne garantira pas au Maroc une présence à moyen et long terme dans le monde technologique déjà en mouvement. De même, s’inspirer uniquement des expériences de pays de même niveau de développement ne nous aidera pas à nous surpasser ni à pousser l’horizon de nos ambitions et nous projeter dans le monde de demain. A cet égard, l’exemple américain est instructif par son volontarisme, son ambition et ses prises de risques.

    En effet, la nouvelle administration a mis en œuvre un deuxième plan de relance dans la foulée de l’effort déployé en 2020 et prévoit de le compléter par un plan massif d’investissement étalé sur huit ans. L’originalité de ce plan d’investissement, ambitieux et audacieux selon les termes mêmes du Président américain, réside, au-delà de son envergure financière, dans la vision stratégique qui le sous-tend, l’objectif étant de rendre les entreprises plus compétitives, plus vertes et plus innovantes. Pour financer cet effort colossal, l’administration prévoit d’augmenter le taux d’imposition des sociétés[1]. Elle a également pousser pour qu’un accord international soit obtenu dès la mi-2021 pour la taxation des entreprises étrangères, permettant ainsi aux pays de capter une partie des ressources fiscales des entreprises internationales opérant sur leur sol[2]. A travers cette politique résolument volontariste, les Etats-Unis cherchent à se positionner dans une économie mondiale au seuil d’une révolution technologique de grande ampleur. Il s’agit de maitriser et d’assurer l’indépendance entre autres dans le domaine de l’industrie des satellites, de la voiture électrique, des semi-conducteurs[3], du déploiement de la 5G et de la recherche sur l’ordinateur quantique[4], que les experts qualifient de révolution de rupture.

    Concernant le Maroc, en l’absence de solidarité internationale malgré les promesses réitérées du G20, un plan classique de relance économique tout en veillant à préserver les équilibres budgétaires, dispose de peu d’options pour son financement en dehors de l’endettement et de l’augmentation de la pression fiscale. Certes, pour éviter d’handicaper toutes les entreprises, la pression fiscale peut-être adoucie par un meilleur ciblage des secteurs économiques dont l’activité s’est maintenue ou a prospéré pendant la crise sanitaire. De même, la mise en place d’un fonds de solidarité alimenté par les dons privés, peut contribuer à mieux protéger les populations vulnérables.

    Cependant, il s’agit aujourd’hui de faire preuve d’audace et capitaliser sur notre avance par rapport à d’autres pays de la région, en matière d’innovation et de technologies de l’information. A la faveur d’un écosystème développé ces dernières années et animé par de jeunes startups innovantes, appuyé par plusieurs organismes publics, privés et associatifs aussi bien pour la formation que pour le soutien financier, le Maroc peut prétendre devenir à terme un pourvoyeur de software. Parier sur le développement de cet écosystème est le gage de ne pas rater le train de la révolution technologique en cours. En effet, la demande pour le développement des applications et de logiciels informatiques déjà forte, est appelée à exploser dans les années à venir. Rien que dans le secteur automobile, la voiture est de plus en plus truffée d’électronique et autres logiciels, « l’intelligence embarquée » représente aujourd’hui 20% de la valeur d’une voiture et 60% à l’horizon 2030, marché colossal que se partagent les constructeurs automobile, les équipementiers et les géants des hautes technologies. Le potentiel de sous-traitance dans ce secteur ne fera qu’augmenter[5]. Le Maroc, ayant déjà plusieurs constructeurs automobile opérant sur son sol, en développant un écosystème de qualité pour le développement de logiciels, peut à terme prétendre se positionner comme sous-traitant et même concepteur d’intelligence embarquée.

    Une stratégie nationale portée par une volonté politique forte et implémentée dans le cadre d’un plan décennal permettra de concrétiser cette ambition. En effet, en plus du volet formation et recherche, il va falloir explorer les possibilités d’associer la diaspora marocaine présente à la Silicon Valley à la mise en place de ce plan.

    S’agissant de la formation de développeurs d’application et de logiciels informatiques, l’OFPPT dispose déjà des infrastructures et de quelques filières à renforcer et étoffer. Il existe également des centres de formation financés par le secteur privé. Le modèle de l’école de Khouribga fruit d’un partenariat OCP- Ecole 42, devra être dupliqué à une grande échelle. En ce qui concerne la formation des spécialistes en intelligence artificielle et en machines apprenantes (machine learning), elle peut être dispensée à travers l’intégration de modules spécialisées dans le curriculum de formation d’ingénieurs et des licences et masters en mathématique et en physique. Ces modules doivent être généralisés dans toutes les écoles d’ingénieurs et toutes les filières de mathématique et de physique. Il s’agit de disposer dans les cinq prochaines années d’un nombre significatif de spécialistes dans ces domaines pour enrichir l’offre marocaine.

    Une partie des spécialistes formés et porteurs d’idées de projets transitera par des incubateurs que les Ecoles d’ingénieurs et les universités des sciences seront encouragés à mettre en place à l’instar du modèle d’incubateur, « U-Founders » de l’université Mohamed VI Polytechnique. L’objectif étant que ces spécialistes puissent aller au bout de leurs projets et certains créer leurs propres startups. La majorité des spécialistes formés rejoindra les sociétés de développement de software sous-traitants des grandes entreprises internationales. Le reste s’emploiera dans les laboratoires de recherches.

    A cet égard, la promotion d’un écosystème aussi stratégique ne peut prospérer à long terme que s’il peut s’appuyer sur un secteur dynamique de la recherche théorique dans les sciences fondamentales. Il faut bien comprendre que même si les retombés théoriques de ces recherches débouchent rarement sur des applications industrielles, le fait de disposer d’expertise théorique de très haut niveau facilite l’émergence de certaines technologies. Parmi les pays qui travaillent aujourd’hui sur l’ordinateur quantique, ceux disposant des meilleurs théoriciens de la physique quantique ont plus de chances d’aboutir[6]. La création d’un Fonds public pour le soutien de la recherche fondamentale ne doit pas être perçue comme un luxe mais plutôt comme un investissement dans l’avenir.

    Enfin, notre diaspora présente aux Etats-Unis d’Amérique et notamment à la Silicon Valley dans la recherche et dans les entreprises de hautes technologies, peut contribuer sur le plan technique et faciliter l’accès aux Fonds d’investissement américains. A l’instar de certains pays développés comme la Suisse ou la France qui disposent d’antennes à San Francisco, le Maroc peut prévoir une structure légère à travers son réseau consulaire ou dans le cadre d’un partenariat public-privé. Par un réseautage ciblé, cette structure mettra en liaison la diaspora et l’écosystème marocain.  L’apport de nos compatriotes peut se faire à travers le « mentoring » à nos startups, l’assistance technique, la mise en contact avec des incubateurs américains ou donneurs d’ordres à nos sociétés de développeurs ou encore par la promotion de notre écosystème et notre offre auprès des Fonds d’investissement américains. En effet, plusieurs Fonds d’investissement outre-Atlantique s’intéressent et de plus en plus à l’Afrique. Par ailleurs, notre représentation, par sa présence au cœur de la Silicon Valley, sera notre relai une veille technologique.

    S’il y a une leçon à retenir de cette crise sanitaire, c’est l’exacerbation du chacun pour soi. Seuls les pays qui feront preuve d’audace, d’ambition et de volonté et surtout qui prendront des risques, verront leurs rêves d’aujourd’hui se transformer en la réalité de demain.

    Par Mohammed Bouassami, Docteur du 3éme cycle en économie mathématique et ancien haut fonctionnaire international à Genève.


    [1]    Voir Le Monde du 1er avril 2021, « J. Biden propose un plan d’investissement massif pour moderniser les Etats-Unis ».

    [2]    Voir LesEchos du 8 avril 2021, « Taxation minimum des entreprises », par R. Hiault.

    [3]    Un dossier complet est paru sur les semi-conducteurs dans Courrier international n°1590 du 22 au 28 avril 2021.

    [4]    Voir le Journal CNRS du 15 avril 2019, « ordinateur : les promesses de l’aube quantique » : https://lejournal.cnrs.fr/articles/ordinateur-les-promesses-de-laube-quantique

    [5]    Voir le Monde du 1er avril 2021, « intelligence embarquée, moteur de croissance de l’automobile », par E. Béziat.

    [6]    Je renvoi le lecteur à l’excellent plaidoyer pour la recherche fondamentale par l’ancien Directeur général du Centre Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) sur le site du CERN ( https://public-archive.web.cern.ch/fr/About/BasicScience6-fr.html ), dans lequel il montre que le financement public doit aller plus vers la recherche fondamentale que vers la recherche appliquée, les retombées de la première alimentant et accélérant la seconde.

  • Quels gains peut tirer le Maroc d’un réaménagement de la TVA ? Par Mohamed Htitich

    Quels gains peut tirer le Maroc d’un réaménagement de la TVA ? Par Mohamed Htitich

    Étant donné d’un côté les réformes d’ouverture mises en œuvre au Maroc et de l’autre les défis[1] auxquels il fait face, l’élargissement de son espace budgétaire, dans le sens de mobiliser davantage de ressources, apparaît comme une nécessité. C’est dans ce cadre que l’étude des écarts fiscaux se situe.

    L’écart de TVA que nous allons calculer consiste à ressortir la différence entre les recettes potentielles et celles réellement observées. La base fiscale que nous retenons pour appréhender les premières est déterminée à partir des données des tableaux entrées-sorties et celles de l’enquête sur les dépenses et niveaux de vie des ménages (The RA-GAP Methodology (Hutton, 2017)). Nous appliquons aux divers postes de dépenses les taux différenciés de TVA. Tandis que les recettes réelles sont issues des publications annuelles de l’administration fiscale ; elles sont le résultat du contexte conjoncturel et de la capacité de l’administration fiscale à recouvrir l’impôt.

    Outre le coût budgétaire de l’évasion et la fraude, nous évaluons également celui de la dépense fiscale par rapport à la structure fiscal de référence (SFR), comme étant un écart “légal” qui émane de la réglementation fiscale. Ce travail peut donc contribuer à éclairer les décideurs en vue d’améliorer les recettes budgétaires.

    Pourquoi est-ce important pour le Maroc ?

    Depuis son adoption par le Maroc en 1986, la TVA a connu d’importants changements aussi bien au niveau des règles de son application qu’au niveau de l’évolution de ses recettes. Elle est ainsi considérée comme une importante source de financement du budget de l’État et des collectivités locales, (qui bénéficient de 30% du produit de cette taxe). Ses recettes ont atteint l’équivalent de 9% du PIB en 2012, soit la contribution la plus importante par rapport aux autres impôts, ce qui fait de l’évaluation de sa performance une priorité.

    Nous pouvons distinguer à partir du graphique 1 deux périodes, la première s’étend de 1986 à 2005 est caractérisée par une quasi-stagnation des recettes de TVA, et la deuxième de 2005 à 2017, et marquée par une augmentation rapide de celles-ci.

    Figure 1 – Evolution des recettes de TVA de 1986 à 2017 (% PIB)

    Les recettes de TVA ont atteint 75259,82 MDH en 2013 soit le montant le plus élevé durant toute la période. Quant à la capacité du recouvrement, le ratio TVA/PIB montre une réelle amélioration, il est passé d’une moyenne de 4,9% durant la première période à une moyenne de 7,7%. Nous constatons en plus que le taux de croissance des recettes durant la deuxième période est généralement supérieur à celui la base fiscale. Prenons par exemple l’année 2005 où les recettes de TVA ont augmenté de 6% alors que la consommation finale n’a augmenté de 1,8%. Pour une taxe qui est globalement proportionnelle telle que la TVA, ce constat constitue un premier indicateur de l’effet qui peut émaner simultanément d’une modification de la politique fiscale, d’une amélioration de l’implémentation de celle-ci ou des changements dans la structure de consommation.

    Si l’on suppose, pour le cas de TVA, que la structure fiscale de référence correspond à la taxation de toute la consommation finale au taux standard, l’écart fiscal résulterait non seulement de l’effet des taux réduits et des exonérations, mais également des comportements de non-conformité. Puisque l’on compare à un système fiscal hypothétique, où non seulement le taux de la taxe est unique, mais également les contribuables se comportent conformément à la législation fiscale en matière de TVA. L’un des outils de diagnostic qui adopte cette comparaison est le ratio C-Efficiency (noté Ec) qui sert à mesurer l’écart entre les recettes réelles de TVA et leur potentiel de référence définit comme les recettes annuelles qui seraient obtenues suite à l’application du taux standard à toute la consommation finale, sous l’hypothèse de l’absence de tout comportement frauduleux visant à réduire le montant hypothétiquement exigible de la TVA. Le graphique de gauche (dans la figure 2) montre un changement considérable de l’évolution de ce ratio, avec une valeur moyenne de 35% entre 1986 et 2004, et de 56% entre 2005 et 2017. La lecture de ce résultat peut être faite ainsi : pour une valeur de 56% le Maroc n’a collecté que près de la moitié des recettes qu’il aurait idéalement collectées, s’il n’appliquait que le taux standard à toute la consommation finale.

    Figure 2 – Evolution du ratio C-Efficiency

    De manière analogue, si l’on suppose que le fait d’étendre l’effectivité en appliquant le taux standard à toute la consommation finale augmenterait les recettes de TVA de (1−Ec)/Ec, on obtient le graphique de droite, qui montre que le Maroc pouvait collecter en moyenne entre 1986 et 2005 1,87 fois (187%) plus que ce qu’il a collecté réellement, et qu’il pouvait augmenter les recettes de TVA de 81% en moyenne entre 2005 et 2017. Ainsi, le taux unique (Ec × ts) qui aurait permis de collecter les montants théoriques des recettes, si appliqué à la base de référence est de 6,78% en moyenne entre 1986 et 2005, et de 11,15% en moyenne entre 2005 et 2017. Il y a eu donc à partir de l’année 2005 une réelle amélioration dans la collecte des recettes de TVA. Toutefois, nous assistons de nouveau à une hausse du manque à gagner durant les dernières années.

    Figure 3 – Evolution des recettes réelles et potentielles de TVA (en % du PIB)

    Nous calculons donc l’écart fiscal de TVA de 2007 à 2015 (graphique 3), période où l’on constate un essoufflement des recettes de TVA. Il s’est avéré que l’écart dû à la non-conformité a atteint 55003.13 MDH en 2015, soit 5,56% du PIB. Ceci dit, l’administration fiscale n’a pu prélever que 68,7% des recettes qui sont percevables selon les règles d’application (en tenant compte des exonérations et des taux réduits), et des montants de toutes les consommations finales réalisées par les ménages, les APU et les ISBL ainsi qu’une partie de la consommation intermédiaire[2]. Les recettes qui auraient dû être perçues s’élèvent donc à 129,63 MMDH en 2015, et à une moyenne de 13,47% du PIB entre 2007 et 2015.

    Le niveau potentiel des recettes de TVA provenant des ménages a représenté ainsi 9,42 % du PIB entre 2007 et 2015, soit le maximum atteint par le total des recettes réelles de TVA en 2012. Ceci montre que l’évolution du potentiel fiscal de TVA est dû principalement à l’évolution de la consommation des ménages[3] qui en 2015 a augmenté de 50,9% par rapport à 2007.

    L’approche “descendante” que nous avons utilisée a permis dans une deuxième étape de déduire le coût budgétaire des dépenses fiscales comme étant un écart dû uniquement à la politique fiscale (Policy gap). Cet écart a été déduit comme un résidu suivant la méthode de Keen (2013) qui consiste à décomposer le ratio CEfficiency. Les résultats (graphique 4) montrent que les exonérations ont coûté 1,11% du PIB en moyenne entre 2007 et 2015 soit une perte annuelle moyenne de 9238,3 MDH. Les taux réduits ont coûté 1,09% du PIB, soit 8953,6 MDH de perte. Ainsi, les effets des décisions de l’administration fiscale sur les recettes se sont traduits par une perte de 18191,9 MDH en moyenne entre 2007 et 2015, soit 2,2% du PIB.

    Figure 4 – Écart dû à la politique fiscale (en % du PIB)

    Outre la décomposition du ratio C-Efficiency, l’analyse de sa variance[4] a montré que ses fluctuations s’expliquent à hauteur de 80% par l’écart lié au non-respect des procédures fiscales, tandis que celui lié à l’application des taux réduits et des exonérations n’en explique que près de 8%. Le reste (12%) étant expliqué par la relation (les interférences) entre les deux. Cela signifie que les variations annuelles de l’écart fiscal global ont été fortement influencées par le comportement de non-respect de la législation relative à la TVA et moins par les effets des décisions prises par l’administration en matière de dépenses fiscales. En outre, ces deux effets n’ont pas évolué indépendamment (covariance positive entre eux). Un tel résultat montre qu’au Maroc, l’écart global de TVA s’explique principalement par le non-respect de la législation fiscale, contrairement aux économies avancées[5], où l’évolution du ratio C-Efficiency s’explique moins par les changements dans la conformité que par les changements de la politique fiscale (Ueda, 2017).

    Que nous apprend la structure de la consommation des ménages ?

    La structure de la consommation des ménages au Maroc suggère qu’une taxation plus uniforme (accompagnée d’une réduction du nombre de taux) est une option envisageable, et pourrait conduire à une augmentation des recettes de TVA.

    Comme le montre le graphique 5, le coefficient budgétaire des consommations sous-taxées (par rapport au taux standard) de la population la moins aisée (appartenant au décile 1) est de 40%, tandis que celui de la population la plus aisée (décile 10) est de 31%. Soit un écart de 5,6 pp prouvant que plus le ménage est aisé plus sa dépense de consommation s’oriente vers les produits taxés au taux standard.

    Figure 5 –Coefficients budgétaires des consommations sous-taxées et exonérées par déciles

    En plus, l’étendue des coefficients budgétaires au sein du dernier décile est le plus large. Ce qui signifie que les habitudes de consommation des ménages les plus aisés sont très hétérogènes. On constate ainsi que la part que consacre une bonne partie de ces ménages aux produits exonérés et sous taxés est proche de celle des ménages les moins aisés. Le même constat est valable pour le neuvième décile, sachant que les ménages appartenant aux deux derniers déciles absorbent à eux seuls près de 47% de la dépense de consommation totale. Et bénéficient ainsi de la plus grande partie des dépenses fiscale relative à la TVA.

    Quelles sont les mesures à préconiser dans un contexte de ralentissement de l’activité économique ?

     L’impact du manque de conformité sur les recettes de TVA, peut s’avérer encore plus sévère en cas de ralentissement drastique de l’activité économique. En effet Brondolo (2009) précise qu’il y a plusieurs canaux par lesquels transite le risque de non-conformité en période de crise :

    Les contribuables confrontés à un risque de faillite peuvent être tentés de recourir à l’évasion fiscale comme source alternative de financement, et minimiser les risques de pénalités par rapport aux gains potentiels. En outre, la détérioration de la situation budgétaire peut dans le long terme entraîner une réduction des ressources allouées à l’administration fiscale et, par conséquent, une perte d’efficacité dans le recouvrement de l’impôt et dans l’implémentation des mesures fiscales adoptées. Face à ces risques, l’une des recommandations qui peuvent être formulées à l’attention de l’administration fiscale, portent principalement sur la simplification de la tarification.

    Il s’agit de rendre la structure fiscale de TVA plus uniforme, et ce en réduisant le nombre de taux afin de limiter les risques de fausses déclarations et atténuer les difficultés de control par l’administration fiscale. Ceci est justifié par le fait qu’il existe un lien positif entre l’écart dû à la politique fiscal et celui dû à la non-conformité. Nous estimons donc qu’une réduction des dépenses fiscale (via la suppression des taux réduits par exemple), limiterait les comportements frauduleux. La disposition devrait toutefois comporter un mécanisme pour « compenser » les couches sociales qui en pâtiraient, en leur accordant des aides directes. L’avantage indirect est qu’une certaine vérité des prix ainsi obtenue réduirait le gaspillage et / ou es détournements d’objectif[6].

    Le graphique 5 révèle que les 20% des ménages les plus aisés de la population marocaine réalisent à eux seuls près de la moitié (47%) des dépenses de consommation totale, ils absorbent ainsi la part la plus substantielle de la dépense fiscale. Les finances publiques gageraient en qualité de rôle redistributif puisque les gains réalisés serviraient à financer des programmes sociaux bien ciblés pour qu’en profitent prioritairement les couches sociales démunies.

    Par Mohamed Htitich, Lauréat du master Econométrie appliquée de l’Université Hassan II.

    Références

    Barbone, L., Bonch-Osmolovskiy, M., Poniatowski, G., 2015. Study to Quantify and Analyse the VAT Gap in the EU Member States. SSRN Electronic Journal.

    Brondolo, J., 2009. Collecting taxes during an economic crisis: challenges and policy options. International Monetary Fund.

    Delpech, J., Bégin, C., 1973. T.V.A. et consommation des ménages. Statistiques et études financières, n°12, 1973.

    Ebrill, L., Keen, M., Summers, V., 2001. The Modern VAT.

    Hutton, E., 2017. The Revenue Administration-Gap Analysis Program: Model and Methodology for Value-Added Tax Gap Estimation. Technical Notes and Manuals.

    Keen, M.M., 2013. The Anatomy of the VAT. International Monetary Fund.

    Mourji, F., 2011. L’incidence fiscale au Maroc–Cas de la TVA. Presentation at the FERDI conference on taxation; development.

    Reckon, L., 2009. Study to quantify and analyse the VAT gap in the EU-25 Member States. Report for DG Taxation and Customs Union, September.

    Ueda, J., 2017. The Evolution of Potential VAT Revenues and C-Efficiency in Advanced Economies. IMF Working Papers.


    [1] L’ouverture s’est traduite par la signature de plusieurs accords de libre échange qui ont conduit à la baisse des recettes douanières, et les défis concernent les besoins en infrastructures et biens publics pour résorber les poches de pauvreté et atténuer les inégalités.

    [2] Il s’agit de la TVA payée sur la consommation intermédiaire des inputs utilisés dans la production exonérée. Ainsi, La contribution de chaque branche d’activité à la base de TVA se mesure par la part de sa production exonérée, sans droit à la déduction, dans sa production totale.

    [3]  La variation du potentiel fiscal de la TVA s’explique également par la variation du taux effectif qui résulte des modifications dans les règles d’application (par exemple, le passage du taux standard au taux réduit, ou inversement), ou un changement dans les habitudes de consommation. Voir table 4 dans du document accessible ici

    [4]  Voir Table 6 de de la version intégrale de l’étude sur l’écart fiscal accessible en cliquant ici

    [5]  Les travaux sur l’écart fiscal de TVA, ont concerné essentiellement les pays de l’UE en raison de la faisabilité qu’offre l’uniformité du system fiscal et la disponibilité des données requises (voir Reckon (2009) , Barbone et al. (2015)).

    [6] A titre d’exemple, la non taxation du pain fait que d’un côté on assiste à de grandes quantités jetées (au même titre que des ordures ménagères) et de l’autre on relève leur achat par des exploitations agricoles en vue de nourrir le bétail (à priori non ciblées par les taux bonifiés).

  • La situation socioéconomique des femmes au Maroc : ou comment le statut matrimonial conditionne la prise en charge des enfants. Par Abdeljaouad Ezzrari

    La situation socioéconomique des femmes au Maroc : ou comment le statut matrimonial conditionne la prise en charge des enfants. Par Abdeljaouad Ezzrari

    Télécharger le billet de blog en format PDF

    L’objet de ce billet est d’analyser les liens entre les caractéristiques démographiques des femmes, leurs comportements par rapport à la « sphère marchande » du marché du travail et les responsabilités qu’elles assument, notamment dans la prise en charge des enfants.

    Conformément aux lois naturelles et universelles de la démographie, les femmes représentent la moitié de la population[1]. Selon les dernières données disponibles, leur effectif atteint 17,5 millions en 2017 au Maroc. A l’image de la population globale, l’urbanisation ayant gagné du terrain, plus de six femmes sur 10 vivent en milieu urbain (62,4 %). Un peu plus du quart a moins de quinze ans (26,4 %), près des deux tiers forment la population en âge de travailler (64,6 % ont entre 15 et 59 ans) et 9 % ont 60 ans et plus.

    La ventilation des femmes marocaines âgées de 15 ans et plus selon l’état matrimonial montre que près de six femmes sur dix d’entre elles (58,8 %) sont mariées, 28,1 % sont célibataires, 10 % sont veuves et 3,1 % sont divorcées. Pour les hommes, ces fréquences sont respectivement de 58,3 %, 40,1 %, 0,9 % et 0,8 %. Cela montre que le célibat est bien plus élevé chez les hommes alors que le veuvage et le statut de divorcé caractérisent davantage les femmes. Ceci s’explique essentiellement par la facilité du remariage pour les hommes après un divorce comme après le décès de leur conjoint. Contrairement aux femmes dont une bonne proportion décline une éventuelle offre de remariage pour rester disponible et pouvoir prendre soins de leurs enfants[2].

    Tableau 1 : Structure de la population âgée de 15 ans et plus (en %) selon l’état matrimonial

    Situation matrimoniale

    Hommes

    Femmes

    Ensemble

    Célibataire

    40,1

    28,1

    34,0

    Marié(e)

    58,3 58,8

    58,6

    Veuf(ve)

    0,9

    10,0

    5,5

    Divorcé(e)

    0,8 3,1

    1,9

    Total 100,0 100,0

    100,0

    Source : ENE 2017, HCP

    La ventilation des femmes ayant plus de 15 ans selon l’état matrimonial et le niveau scolaire montre que les femmes célibataires ont un capital scolaire plus élevé que celui des autres catégories ; elles sont suivies par les femmes divorcées. Ainsi parmi les célibataires 44,5 % ont le niveau secondaire et plus, 18 % parmi les divorcées. On entrevoit ici que la poursuite des études non seulement retardent l’âge au mariage pour celles qui se marient mais contribuent peut-être aussi à accroître leurs exigences en matière de choix des conjoints. Cette idée est accréditée par le fait que la fréquence des instruites est également relativement élevée parmi les divorcées : les études confèrent aux femmes plus d’indépendance et elles deviennent de ce fait plus enclines à rompre en cas de mésentente. La fréquence baisse à 14,2% pour les mariées et à 3,7% pour les veuves.

    Tableau 2 : Structure du niveau scolaire de la population féminine âgée de 15 ans et plus selon l’état matrimonial

    Niveau scolaire

    Célibataire Mariée Veuve Divorcée

    Total

    Sans

    13,9

    52,4 83,0 40,3

    44,3

    Fondamental

    40,8 31,1 10,7 40,1

    32,0

    Secondaire

    26,2

    8,5 2,6 11,5

    13,0

    Supérieur

    18,3 5,7 1,1 6,5

    8,8

    Autre niveau

    0,8

    2,3 2,5 1,6

    1,9

    Total

    100,0

    100,0 100,0 100,0

    100,0

    Age moyen en années

    25,1

    41,4 65,4 43,3

    38,8

    Source : ENE 2017, HCP

    En ce qui concerne l’activité, en 2017, 22,4 % des femmes participent au marché de travail. Ce taux cache cependant des disparités selon le statut matrimonial. Ainsi le taux de participation atteint 43,5 % parmi les divorcées, suivies par des célibataires (28,6%), puis les mariées (19,8 %) et enfin les veuves (14,0 %). La relative forte participation des femmes divorcées pourrait tenir à la nécessité de devoir subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants en l’absence d’un soutien économique dans le ménage après la rupture du mariage. Cela peut tenir aussi leur niveau d’études plus élevé.

    Ces facteurs expliquent aussi leur taux d’emploi plus élevé (37,7 %), près du double de celui des célibataires (19,4 %) et des mariées (19 %) ; 13,4 % pour les veuves. A l’opposé, les femmes célibataires sont les plus touchées par le chômage, avec un taux de 32,1 %, suivies par les divorcées (13,2 %). Il est probable que lorsqu’elles vont sur le marché du travail, les divorcées sont, du fait de leurs contraintes, moins exigeantes (salaires de réserve plus bas) ou plus opiniâtres pour décrocher un emploi, précisément puisque la nécessité de disposer d’un revenu est plus cruciale. Le taux de chômage des veuves et des mariées est très faible (respectivement 4,1 % et 4,4 %). En fait le taux de chômage tend à augmenter avec le taux de participation au marché du travail (sphère marchande de celui-ci) et à diminuer dans les situations où la participation à ce marché provient d’une nécessité (cas des divorcées).

    Tableau 3 : Les indicateurs d’activité, d’emploi et de chômage de la population féminine âgée de 15 ans et plus, selon l’état matrimonial (en%)

    Niveau scolaire

    Célibataire

    Mariée Veuve Divorcée

    Total

    Taux d’activité

    28,6

    19,8 14,0 43,5

    22,4

    Taux d’emploi

    19,4

    19,0 13,4 37,7

    19,2

    Taux de chômage

    32,1

    4,1 4,4 13,2

    14,7

    Source : ENE 2017, HCP

    Les analyses précédentes sont confortées par les données relatives à la répartition des femmes selon la présence d’un soutien économique dans le ménage[3]. On y relève que les veuves sont les plus exposées à vivre dans un ménage sans aucun soutien économique (34,8 % ce qui correspond à près de 452 mille femmes. Il est de même, bien que dans une moindre mesure, pour les femmes divorcées (25,8 % ou 103 mille personnes). Comme les femmes célibataires vivent le plus souvent dans leur ménage d’origine, elles ne sont que 12,8 % à ne pas bénéficier de soutien et enfin les mariées (8,2 %) puisque selon les normes sociales continuent de conférer au conjoint le travail à l’extérieur.

    Il va de soi que les développements soutenus ici se situent dans l’acception usuelle retenue par les statisticiens (optique BIT) et considèrent comme « travail », celui de la sphère marchande. En d’autres termes, les tâches domestiques sont « ignorées » ; or elles donnent lieu, dans d’autres travaux, à de pertinentes évaluations : soit en termes de coût d’opportunité (auquel on approxime leur valeur par le salaire qu’auraient perçu la femme si elle exerçait une activité à l’extérieur) ou encore en estimant la valeur des biens et services auxquels donnent lieu l’accomplissement de ces tâches.

    Les femmes, toutes situations confondues, vivant dans un ménage avec un seul soutien économique représentent plus de la moitié (61,5 %). Cette part est plus élevée parmi les femmes mariées que parmi les célibataires, divorcées et veuves, soit respectivement 67,4 %, 55,6 %, 47,4 % et 49,7 %. Si la contribution des femmes célibataires et mariées au soutien économique dans cette catégorie de ménages (1 seul soutien) est très faible, elle prend de l’ampleur chez les veuves et davantage chez les divorcées. En effet, moins de 2 % des femmes mariées sont « le seul soutien économique » de leur ménage puisque dans leur cas, c’est le conjoint qui assure ce soutien. Cette fréquence reste faible (3,6 %) pour les célibataires car elles vivent le plus souvent avec leurs parents. Les plus fortes proportions des veuves (11,5 %) et des divorcées (25,1 %) viennent de ce qu’elles relativement plus nombreuses à devoir prendre en charge leur ménage.

    Les femmes non célibataires ont en moyenne 1,3 enfant à charge

    Les données de l’ENCDM 2013/14 révèlent que les femmes non célibataires ont en moyenne 2,1 enfants qui vivent avec elles dans le ménage. Cet effectif diffère selon le milieu de résidence, le niveau scolaire et l’état matrimonial. En effet, les femmes rurales cohabitent en moyenne avec 2,2 enfants et les citadines avec 2 enfants. En fait ces dernières sont plus enclines à confier leurs enfants à leurs parents quand elles exercent une activité. Sans surprise, l’effectif moyen s’élève à 2,3 pour les femmes mariées. Par contre les veuves cohabitent avec 1,7 enfants, soit jeunes et elles en assument la charge, soit adultes auquel cas ce sont elles, alors âgées, qui rejoignent le ménage de leur enfant. Chez les divorcées, l’effectif moyen est encore plus faible (0,9 enfants) car à celles qui n’en obtiennent pas la garde, s’ajoutent celles qui confient leurs enfants à leurs parents, même lorsqu’elles travaillent pour subvenir à leurs besoin ; elles opèrent alors des transferts.

    La prise en compte de l’éducation montre que les femmes sans aucun niveau vivent en moyenne avec 2,3 de leurs enfants au sein du même ménage, contre 1,6 pour celles ayant le niveau secondaire et plus. Ces dernières sont, comme mentionné plus haut, plus touchées par le divorce.

    S’agissant des enfants à charge, c’est-à-dire ceux en bas âge (0-6 ans) et scolarisés (7 ans et plus), les femmes non célibataires ont en moyenne 1,3 enfants vivant avec elles dans le ménage. Pour des raisons analogues à celles exposées précédemment, chez les mariées, cette moyenne progresse à 1,5 et elle tombe à 0,5 pour les divorcées et à 0,3 pour les veuves. On peut préciser que pour ces deux dernières catégories, les femmes assument seules la charge et on relève par ailleurs que le pourcentage des hommes qui prennent en charge seul des enfants est bien plus réduit, du fait notamment (comme observé plus haut) qu’ils ont plus tendance à se remarier après un divorce ou le décès de l’épouse.

    Le tableau ci-après comporte les effectifs relatifs aux diverses catégories : le nombre de femmes ayant des enfants à charge vivant avec elles dans le même ménage s’élève à 5,2 millions à l’échelle nationale, 3,2 millions en milieu urbain et 2,0 millions en milieu rural. 92,2 % parmi elles sont mariées, 4,3 % sont veuves et 3,5 % sont divorcées, soit respectivement 4,8 millions, 223 mille et 179 mille femmes.

    Si l’on se situe du côté des enfants, le total de ceux qui vivent avec leurs mères dans le même ménage atteint 10,8 millions au niveau national (6,5 millions en milieu urbain et 4,3 millions en milieu rural). La quasi-totalité de ces enfants (94,3%, soit 10,2 millions) vivent avec des mères mariées, 3,4 % (369 mille) avec des mères veuves et 2,3 % (244 mille) avec des mères divorcées.

    Outre les commentaires des diverses informations exposées dans ce billet, il nous semble opportun que les décideurs s’y penchent pour mieux cerner les diverses conditions de vie des enfants et au-delà, en vue d’identifier les mesures les plus appropriées pour soutenir les enfants selon la nature des ménages auxquels ils appartiennent et les modalités de leur prise en charge.

    Tableau 4 : Effectif des femmes ayant des enfants à charge et nombre d’enfants à charge selon l’état matrimonial

    Caractéristique Effectif des femmes ayant des enfants à charge vivant dans le ménage Effectif des enfants à charge vivant dans le ménage Part des femmes n’ayant pas d’enfants à charge dans le ménage Nombre moyen d’enfants à charge par femme
    Ø  Etat matrimonial de la femme

    Mariée

    4 757 986

    10 209 184

    28,6

    2,15

    Divorcée

    179 138 243 772 59,7

    1,36

    Veuve

    223 243 369 150 82,1

    1,65

    Ø  Niveau scolaire

    Néant

    2 802 892 6 102 536 46,5

    2,18

    Fondamental 1

    1 094 255

    2 261 793 25,3

    2,07

    Fondamental 2

    610 487 1 219 016 23,2

    2,00

    Secondaire

    418 381

    794 485 25,0

    1,90

    Supérieur

    234 352

    444 276 22,4

    1,90

    Ø  Milieu de résidence

    Urbain

    3 195 264 6 511 410 36,6

    2,04

    Rural

    1 965 103 4 310 696 40,8

    2,19

    Ensemble

    5 160 367

    10 822 106 38,3

    2,10

    Source : ENCDM 2013/14 – HCP

    Par Abdeljaouad Ezzrari, Economiste Senior – PhD au Haut-Commissariat au Plan. ezzrari@yahoo.fr.

    Cliquer ici pour télécharger l’intégralité du texte.

    _______________________

    [1] Les « exceptions » que connaissent certains pays, sont inhérentes à des décisions politiques (comme en Chine, la politique de « l’enfant unique » avait conduit à des infanticides et s’était traduite par un grand déséquilibre entre effectifs de garçons et de filles, celles-ci devenant beaucoup moins nombreuses) ou encore à des pratiques sociales (comme en Inde où le coût de la dote  pour les familles est tel qu’elles préfèrent réduire le nombre de filles qui les composent et donnent encore une fois à des avortements provoqués ou des infanticides).

    [2] Près de 4 femmes divorcées sur 10 ont des enfants à charge au Maroc, selon les mêmes données du HCP.

    [3] On entend par soutien économique dans le ménage, la présence d’au moins une personne âgée de 15 ans et plus ayant un emploi rémunéré ou ayant une pension de retraite ou une rente, y compris la femme elle-même.

     

  • Loi de finances 2021 : le poids des incertitudes. Par Yasser Y. Tamsamani

    Loi de finances 2021 : le poids des incertitudes. Par Yasser Y. Tamsamani

    Télécharger le billet de blog en format PDF

    La Loi de Finances (LF) 2021 vient dans un contexte particulier de crise inédite de par l’enchaînement des événements qui l’ont causé et le degré élevé d’incertitude auquel ils débouchent. Ce concept d’incertitude évacue la capacité de tout calcul probabiliste destiné à prédire l’avenir sur la base de la régularité des tendances observées dans le passé. Il résume notre ignorance collective du temps que va prendre la crise, de la manière idéale de s’en sortir et à quel prix. Ce concept a été mobilisé par Keynes pour boucler sa description des mécanismes en jeu au sein d’une économie de production monétaire et pour une compréhension (cohérente) de la production et du chômage en période de crise et/ou de sous-emploi (voir plus loin). Il nous sera également d’une grande utilité pour décrire les comportements des agents économiques pendant la crise actuelle et anticiper leurs réactions aux mesures de la politique économique.

    A l’incertitude (normale) du futur, relative aussi bien à la durée de l’épidémie qu’à ses retombées économiques, sociales et sur la santé publique de moyen et long termes, s’ajoute une méconnaissance du présent à propos de la vitesse de propagation du virus ainsi que de l’état de santé réel des entreprises et des ménages. Ceci est une spécificité majeure de la crise actuelle qui renforce notre ignorance.

    Le mécanisme par lequel l’incertitude piège l’économie dans une récession auto-entretenue est simple. Au début, une bulle éclate ou des déséquilibres (économiques ou sociaux) deviennent insoutenables et plongent l’économie dans une récession. Celle-ci crée ensuite un climat de défiance et fait monter l’incertitude à cause des perspectives qui deviennent sombres. Il en résulte une inflexion au niveau des anticipations des agents économiques qui les pousse à revoir à la baisse leurs décisions de consommation et d’investissement et à préférer garder leurs liquidités. Enfin, un cercle vicieux s’installe entre un futur incertain et un présent défiant rendu possible par des anticipations auto-réalisatrices des agents jusqu’à ce que l’intervention publique réussisse à les rassurer sur le futur et brise alors la dynamique récessive en place.

    Ces enchainements servent également pour la description de la crise actuelle sauf que l’intensité des réactions des agents devrait être plus forte à cause du degré renforcé de l’incertitude qui la caractérise. Si dans les crises antérieures, l’origine de l’incendie était rapidement identifiée et neutralisée et tout l’effort public se focalisait sur l’extinction du feu, dans la crise actuelle, l’élément déclencheur du feu (le virus) est toujours non maitrisé et risque à tout moment de d’attiser l’incendie. L’ignorance du présent s’ajoute à celle, naturelle, du futur et l’incertitude est portée de ce fait à son paroxysme.

    En toute logique, l’intervention publique en mesure de lever ou du moins atténuer cette incertitude doit être dimensionnée à la hauteur de la menace qui guette l’économie. En pratique, ceci se traduit par une politique budgétaire de soutien massif à l’économie adossé à un ciblage réfléchi (offre Vs demande, entreprises entrainantes Vs entreprises ayant le plus pâti de la crise).

    Le poids qui pèse sur cet instrument de politique économique est d’autant plus important que le deuxième instrument (politique monétaire) devient moins efficace, voire inopérant au moment où, pour paraphraser Keynes, « la possession de la monnaie apaise notre inquiétude » et l’économie rentre dans une trappe à liquidité. A ce moment, une politique monétaire expansionniste, même si elle n’a pas encore butée sur le niveau plancher du taux d’intérêt comme le cas au Maroc, réduit le coût d’opportunité de détention des liquidités et incite de ce fait les agents à tempérer leurs décisions et les reporter dans le temps.  

    Sur le plan macroéconomique, cette préférence croissante pour la liquidité aboutit à une contraction de toutes les composantes de la demande :  la consommation baisse en partie à cause de la formation de l’épargne de précaution pour les catégories sociales qui peuvent se la permettre, l’investissement s’inscrit dans une logique attentiste de « stop and go » et finalement le commerce extérieur subit la montée du protectionnisme et le repli des capitaux investis à l’étranger vers la maison mère.

    Dans ce contexte, une relance par le crédit ressemble à un coup d’épée dans l’eau et risque d’être détournée de son objectif (remplacement des dettes par d’autres garanties sans qu’il y ait création de valeur, incitation à des comportements spéculatifs et maintien sous perfusion des entreprises zoombies).

    En bref, la reprise économique passe par la réduction du champ de l’incertitude qui passe par la mobilisation du budget de l’Etat (côté financement, trois pistes ont été proposées et discutées dans un billet de blog publié précédemment par la Revue réflexions économiques- www.refeco.org).

    Dès lors, les questions qui nous viennent à l’esprit sont les suivantes : la loi de finances 2021 intègre-t-elle ces aspects dans sa logique de base? Les mesures qu’elle contient permettent-elles de contenir le champ de l’inconnu au sein de l’économie ? Rassurent-elles suffisamment les agents économiques aussi bien sur le présent que sur le futur pour qu’ils reprennent confiance et tempèrent moins leurs décisions ?

    La réponse à toutes ces questions est négative. A la lecture de la LF 2021 et surtout du Rapport Economique et Financier (REF) qui l’accompagne, force est de constater que l’incertitude ne fléchit guère mais au contraire elle risque de prendre de l’ampleur et ce pour deux raisons : primo, l’exposition des objectifs de la LF pousse davantage le lecteur à se poser des questions qu’à y trouver des réponses rassurantes ; secundo, le gouvernement réitère son engagement à poursuivre des réformes dont l’issue, elle-même, est sujette à caution, ce qui n’arrange en rien le degré d’incertitude au sein de l’économie. Il s’agit principalement de la politique de ciblage de la pauvreté par des transferts monétaires, de la restriction budgétaire comme stratégie pour contenir le déficit public et du financement de la création de la valeur par un fond d’investissement au lieu d’une banque publique. La deuxième source d’incertitude ne sera pas abordée ici car chacune des trois réformes nécessite une analyse à part, ce qui dépasse le cadre d’une seule tribune.     

    Objectifs « prioritaires » du gouvernement : plus de questions en suspens que d’éléments de réponse

    Dans le REF, le gouvernement s’est donné trois objectifs, qualifiés de « prioritaires » : relance économique, généralisation de la couverture sociale et optimisation des participations de l’Etat. Des objectifs louables pris globalement et leur poursuite sera un pas décisif sur le chemin du développement et du progrès. Mais, si on lit plus loin que les grands titres, rien ne semble clair sur la manière dont tout cela sera organisé et les questions laissées en suspens dépassent de loin les clarifications que le texte apporte. Ce qui n’arrange en rien notre incertitude collective et risque de réconforter les acteurs économiques dans leurs comportements attentistes méfiants. Voici quelques exemples d’interrogations à propos desquelles le rapport reste muet :  

    • Le premier objectif prioritaire a trait à la mise en œuvre du plan de relance. Ce dernier cible-t-il les activités ayant subi de plein fouet la crise ou bien celles dont les effets d’entrainement sont les plus élevés ? ou bien encore les deux à la fois mais sur quelle base alors le montant des aides serait établi ?
    Peut-on faire de la relance effective avec une politique budgétaire restrictive (avec des dépenses programmées à la baisse et des recettes stabilisées – il faut croire à la magie !) ? Le Trésor a-t-il changé de logiciel et sur quelle base ? A-t-il mis de côté les préceptes de la nouvelle synthèse qui attribue à la politique budgétaire un rôle contra-cyclique à court terme et s’est-il converti à la vision (radicale) des nouveaux classiques selon laquelle la politique économique est sans effet (si ce n’est un effet contraire) sur la production et l’emploi et seul le marché est en mesure de rétablir l’ordre naturel ? Mais avant tout cela, disposons-nous d’une évaluation des mesures de maintien de l’emploi et d’aide aux ménages et aux entreprises déployées durant le confinement, afin de pouvoir ajuster le tir et mieux concevoir les actions à venir ?

    Quelle cohérence entre la volonté de promouvoir le « made in Morocco » et de favoriser les entreprises marocaines dans les appels d’offre publics d’une part et la baisse en même temps du ratio de l’investissement public, sachant que l’investissement privé en dépend fortement ? A quel niveau le soutien public destiné aux branches d’activités dans le cadre du plan de relance s’articule ou non avec la politique de promotion des entreprises nationales ?

    Muet !

    • En lien avec le deuxième objectif de généralisation de la couverture sociale, le mode de financement hybride (un mélange entre des cotisations et le budget de l’Etat) présenté comme acquis ne va-t-il pas buter rapidement sur le mur de son acceptation par les représentants des travailleurs? Ces derniers vont-ils accepter facilement un tel montage financier qui porte les germes de leur marginalisation future au niveau de la gestion de la partie socialisée des salaires de leurs adhérents ? Et qui pourrait leur garantir, une fois que ce montage serait accepté, que les prestations sociales auxquelles donnent droit les cotisations salariales ne vont pas être soumises à la même règle restrictive qui s’applique aujourd’hui au budget de l’Etat ? Ce montage est-il la conséquence d’une confusion dans l’esprit de l’exécutif entre l’objectif d’institutionnaliser la solidarité qui relève du sens que l’on souhaite donner à notre vie commune en société et le principe d’assurance qui donne lieu à des droits limités aux cotisants ? Ou est-ce un premier pas déguisé vers un système de financement de la couverture sociale par les impôts en vue de réduire les coûts de production en vue de gagner en compétitivité ? S’agit-il de la même compétitivité (coût) poursuivie depuis deux décennies sans qu’elle ne réussisse à redresser le solde commercial et qui a fini par piéger notre économie dans un cercle vicieux de faible productivité : bas niveau de salaire, faible rendement, bas niveau de salaire ?

    Muet !

    • Le troisième objectif prioritaire, aussi honorable que les deux premiers, est celui de la création d’une nouvelle entité chargée de rentabiliser au mieux les participations de l’Etat. Quelle cohérence alors trouve-t-on entre cet objectif et la poursuite du programme des privatisations ? Sachant que les entreprises privatisables sont celles qui sont potentiellement les plus rentables, comment peut-on cibler les deux objectifs (antagonistes) à la fois ? Sur le plan organisationnel, qu’est ce qui pourrait justifier la création de cette nouvelle entité alors que le cœur de sa mission peut être remplie, moyennant quelques ajustements, par la Direction des Entreprises Publiques et de la Privatisation ?
    Muet !

    En résumé, nous avons compris qu’agir contre l’incertitude ce n’est pas faire de grandes annonces mais c’est être crédible en étant cohérent et clair.  En fait, soit l’exécutif ne prend pas toute la mesure de l’intensité de la crise et du mal que peut générer le manque de visibilité des agents économiques sur l’économie et la société ; soit il s’est converti à l’ultra-libéralisme à la Hayek qui voit dans la montée de l’incertitude elle-même, un argument contre toute intervention publique au nom de l’existence d’un « ordre spontané ». Mais même là et en vue de réduire le champ de notre ignorance collective, à propos de ses convictions cette fois-ci, l’exécutif aurait dû les annoncer et les expliquer clairement.

    En tout état de cause, avant de chercher à ancrer les anticipations, il serait opportun que les pouvoirs publics disposent d’une nouvelle enquête (permanente) ou d’un complément d’enquête existante permettant d’évaluer le degré de connaissance par les agents économiques des orientations de la politique économique au Maroc, l’influence des discours ambiants sur leurs décisions (la place des comportements mimétiques par exemple), et leur compréhension de la portée des mesures prises par le pouvoir public.

     

    Par Yasser Tamsamani, Docteur en économie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

  • L’impact à court terme de la crise Covid-19 sur l’industrie manufacturière en Afrique : évaluations d’experts africains. Par Michaël Goujon et Edouard Mien

    L’impact à court terme de la crise Covid-19 sur l’industrie manufacturière en Afrique : évaluations d’experts africains. Par Michaël Goujon et Edouard Mien

    Télécharger le billet de blog en format PDF

    Quel était l’impact à court-terme de la crise sur l’industrie manufacturière en Afrique au printemps 2020 ? Les informations alors restaient partielles sur la situation pour des pays peu couverts par les rapports internationaux et études et enquêtes nationales. Nous avons donc mené une enquête auprès d’experts africains dans le courant des mois d’Avril et Mai. Les principaux résultats sont publiés en septembre dans un article de la revue Secteur Privé et Développement et relayé par Jeune Afrique (28/09/2020). Ces experts africains, pour la plupart économistes,
    universitaires ou cadres supérieurs dans les administrations, ont été contactés en utilisant une partie du réseau des anciens étudiants du CERDI, issus de formation continue et de doctorat. L’intérêt d’une telle enquête est qu’elle peut permettre d’avoir une vision d’ensemble basée sur des réponses d’experts, sur le terrain, et bien informés, et comparables d’un pays à l’autre.

    Eléments de méthode

    Afin d’obtenir des réponses rapidement et en nombre suffisant, le questionnaire est court et se limite à demander le jugement des experts sur l’impact (« positif », « nul », « faiblement négatif », « négatif », « fortement négatif », « ne sait pas ») sur l’industrie manufacturière de leur pays, sur 10 sous-secteurs produits, et sous-secteurs analytiques (milieu urbain / milieu rural, secteur formel / secteur informel, pour le marché local / pour l’exportation, grandes entreprises / petites entreprises). Les experts ont également été questionnés sur les principales causes de l’impact parmi 6 choix : causes sanitaires, restrictions administratives, ruptures des chaînes de production, demande locale, demande étrangère, financement de la production. Le questionnaire a été envoyé par mail permettant un échange personnel avec chaque contact et répondant.

    Nous avons procédé à un échantillonnage en boule de neige (« snowball sampling ») car nous ne cherchons pas forcément à avoir le plus grand nombre de répondants, mais des répondants que l’on peut qualifier d’experts. Le questionnaire a été envoyé entre le 13 et 21 mai à environ 130 premiers contacts. Les premiers destinataires sont principalement d’anciens étudiants en économie du CERDI (formation continue ou doctorat), qui occupent actuellement des fonctions diverses (cadres supérieurs dans les administrations, Ministères de l’Economie et instituts statistiques, universitaires). Certains ont d’ailleurs chargés par leur administration ou service de la question Covid. Ces premiers contacts ont pour certains transféré le questionnaire à leur réseaux (mais ces seconds contacts sont restés en nombre limité). Entre les 14 mai et 13 juin, nous avons reçu les réponses de 88 experts (73 questionnaires ont été reçus en l’espace de deux semaines, du 14 mai au 29 mai).

    Un total de 19 pays africains sont couverts par les réponses (Algérie, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, R.D. Congo, Côte d’Ivoire, Djibouti, Guinée, Mali, Madagascar, Maroc, Mauritanie, Niger, Ouganda, Sénégal, Tchad, Togo, Tunisie), auxquels s’ajoutent deux questionnaires d’Haïti et deux questionnaires d’experts ayant souhaité donner leur avis pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. L’agrégation des réponses, alors que certains pays sont plus représentés que d’autres, repose sur la comparabilité de ces réponses mais également sur l’hypothèse d’une certaine similarité des secteurs entre les différents pays (plus précisément, il faut que la variabilité entre les sous-secteurs l’emporte sur la variabilité entre pays). Lors de nos échanges, cette hypothèse n’a pas été rejetée par certains des répondants qui ont une vue et une appréciation régionale.

    Les résultats

    Les réponses montrent une relative variabilité, du fait de la complexité des processus en cours à l’époque. La part des réponses « Ne sait pas » dans le total des réponses aux questions sur les impacts sectoriels (sur les 88 questionnaires à 19 questions) est de 10%. S’agissant de la question de l’impact sur le secteur manufacturier dans son ensemble, sur les 88 répondants, 41 considèrent que l’impact est négatif, 26 faiblement négatif et 13 très négatif.

    S’agissant des sous-secteurs produits, sans surprise, seule la production pharmaceutique semble pouvoir bénéficier de la crise (pour la moitié des répondants). Les sous-secteurs considérés comme étant les plus affectés sont « alimentation, boissons » et « machines, équipement, matériel de transport », suivis de « matériaux de construction, ciment » et « textile, habillement, cuir », en accord avec les premières conclusions des enquêtes auprès des entreprises évoquées précédemment. Les réponses « Ne sait pas » sont plus nombreuses pour les sous-secteurs produits « cokéfaction raffinage chimie » et « caoutchouc et plastique », ce qui pourrait s’expliquer par le fait que ces productions sont faibles ou qu’elles portent sur des biens intermédiaires et non finaux.

    S’agissant des secteurs analytiques, l’impact est globalement négatif mais il est nettement plus important pour la production destinée à l’exportation (vs celle pour le marché local). La production est aussi, mais avec moins de netteté, plus affectée négativement en milieu urbain (vs rural), dans le secteur formel (vs informel) et pour les grandes entreprises (vs petites).

    S’agissant de la question sur les causes de l’impact ou canaux de transmission de la crise, le nombre moyen de réponses par répondant sur 6 réponses possibles est de 3,0 ce qui parait relativement « équilibré ». De loin, pour ces experts l’impact subi par le secteur manufacturier dans leur pays est dû principalement aux restrictions administratives et à la rupture des chaînes de production (qui peuvent donc toucher des pays n’appliquant pas de mesures restrictives fortes), devant la baisse de la demande étrangère ou les causes sanitaires. On ferait donc face principalement à des contraintes côté offre et l’impact serait relativement indépendant du degré d’extraversion de l’industrie manufacturière.

    Qu’en est-il du Maroc ?

    S’agissant du Maroc, nous avons reçu l’avis de deux experts. Leurs avis sont relativement convergents, même s’ils diffèrent quelque peu pour certains sous-secteurs – produits. Les résultats montrent que la situation du Maroc a pu être comparable à celle des autres pays couverts. Les deux experts déclarent un impact « négatif » sur l’ensemble de la production manufacturière (mais un impact « nul » pour la production de biens alimentaires et boissons). Un des experts considèrent que l’impact sur les petites entreprises artisanales a pu être plus important que l’impact sur les grandes. Cependant, pour les deux experts, les mesures de restrictions administratives (le confinement à partir du 20 mars précédé par des restrictions sur les déplacements et fermetures des écoles), la rupture des chaines de production, la baisse de la demande étrangère, mais aussi la baisse de la demande locale ont constitué les causes principales de l’impact économique. Ces éléments peuvent compléter les enquêtes auprès des entreprises (du secteur formel) menées en avril par la Confédération Générale des Entreprises du Maroc et le Haut-Commissariat au Plan qui montraient que le secteur textile, les industries métalliques et mécaniques ont été les plus fortement touchées, comparé à un impact plus faible pour l’industrie agro-alimentaire.

    Par Michaël Goujon et Edouard Mien, chercheurs au CERDI UCA CNRS, IRD

    Pour en savoir plus : Goujon M., Mien E. (2020) “ L’impact à court terme de la crise Covid19 sur l’industrie manufacturière en Afrique: évaluations d’experts africains ”, Études et Documents, n°7, CERDI, https://hal.uca.fr/hal-02954904/document

     

  • Le retournement en faveur du déficit public à l’aune de Kalecki. Par Rédouane Taouil

    Le retournement en faveur du déficit public à l’aune de Kalecki. Par Rédouane Taouil

    Télécharger le billet de blog en format PDF

    Les crises vont assurément de pair avec des surprises. Des mesures de politique économique tenues pour déstabilisatrices en temps normal, sont jugées fort opportunes, et des idées reléguées aux marges resurgissent avec force. A l’instar de l’ébranlement financier en 2008, la crise actuelle a signé le retour en grâce de l’utilisation de l’instrument budgétaire en réponse à la poussée récessive : hier stipendié, le déficit public est paré aujourd’hui de nombre de vertus tant au sein du mainstream que chez les policy makers. De même, des vues analytiques écartées sont convoquées dans le débat. Est exemplaire à cet égard, la résurgence dans les années 2010 de l’hypothèse d’instabilité intrinsèque de Minsky selon laquelle la progression de l’endettement sous l’impulsion de la croissance engendre une prise de risque excessive qui débouche sur une accentuation de la fragilité financière et, partant, sur une dynamique récessive accompagnée d’un resserrement du crédit. Jean-Claude Trichet alors gouverneur de la Banque centrale européenne et Janet Yellen vice-présidente de la Réserve Fédérale ont considéré cette hypothèse comme étant appropriée à la compréhension des mécanismes de la crise financière et de sa propagation. Un autre exemple est donné par Kalecki dont des lignes d’analyse inspirent la démarche adoptée par Krugman dans sa critique des dispositifs de lutte contre la crise de 2008 et de l’austérité budgétaire. En mettant l’accent sur le rôle central des dépenses et les bienfaits des expansions budgétaires, le célèbre chroniqueur du New York Times incite à mesurer l’actualité de cette figure de la pensée économique moderne dont l’œuvre reste fort injustement méconnue.

    De la primauté des dépenses à…

    L’Économie contient plusieurs exemples de découvertes multiples résultant du fait que des auteurs s’ignorant mutuellement, développent parallèlement des propositions d’analyses fondamentales très proches. Le cas de Keynes et de Kalecki est des plus illustratifs. L’un et l’autre se sont attachés à dérouler dans les années 1930 des projets qui visent à dénouer l’énigme de la demande effective en étudiant les déterminants du revenu global et de l’emploi. Cette étroite proximité a été rapidement mise en relief par Joan Robinson qui, au demeurant, soutient que l’approche de Kalecki est supérieure à celle de l’auteur de la Théorie générale en ce qu’elle explore cette énigme en mettant l’accent sur les modalités de fixation des prix et la répartition des revenus. L’histoire a consacré, on le sait, Keynes comme l’architecte de la macroéconomie au détriment de Kalecki dont la démarcation vis-à-vis de l’orthodoxie est à maints égards autrement plus nette.

    L’un des apports essentiels de Kalecki est l’élaboration d’une analyse qui met en avant le rôle déterminant des dépenses dans la génération des profits.  Il part de la relation simple selon laquelle la valeur du produit global est égale aux achats de biens de consommation et d’investissement. D’où :

    Salaires + profits = consommation des salariés + consommation des entrepreneurs+ investissements.

    En supposant que les salariés consomment la totalité de leur revenu disponible, il vient :

    Profits = consommation des entrepreneurs + investissement

    Cette équation constitue la clé de voûte de l’approche kaleckienne. Kalecki y confère un caractère causal : les dépenses des entrepreneurs déterminent le montant des profits. Comme l’a bien mis en évidence Jean Cartelier, cette proposition implique une asymétrie fondamentale entre les entrepreneurs et les salariés à un triple titre. D’abord, le niveau d’activité est déterminé par l’initiative de dépenses des entrepreneurs : le montant de la production et le volume d’emploi sont du seul ressort de ces derniers. En exécutant leur projet eu égard à leurs anticipations, ils fixent un niveau d’emploi quelconque qui ne peut être égal au volume d’emploi disponible que par pur hasard. Le chômage constitue, selon Kalecki, « une composante essentielle de l’état normal du système capitaliste ». Ensuite, les entreprises possèdent la capacité de fixer les prix. Ce faisant, elles déterminent les salaires réels et contraignent, par conséquent, les dépenses de consommation des salariés. Enfin, elles commandent les modalités de répartition des revenus en salaires et profits. Cette logique macroéconomique diffère radicalement de celle de la macroéconomie dominante.  Il ne saurait être question d’un marché du travail où l’emploi et le salaire réel sont déterminés par le jeu symétrique de l’offre et de la demande sur le même mode qu’une paire de ciseaux. Les salariés ne sont pas en mesure d’influer sur le niveau de l’emploi en révisant leurs prétentions salariales. De même que les entrepreneurs ne fixent pas les divers volumes d’emploi en fonction du salaire. Le comportement du système n’est pas, dans ce contexte, la résultante d’une offre globale fixée par les conditions de production et les préférences des agents.

    Dans nombre de ses interventions sur les crises et les politiques économiques, Krugman semble faire sienne les vues kaleckiennes en particulier dans Sortez nous de cette crise…maintenant. « Le fait –écrit-il- que tes dépenses sont mes revenus et que tes revenus sont mes dépenses [est], un élément essentiel pour qui veut comprendre ce qui détraque cette dernière [l’économie mondiale] – un élément qui semble échapper à l’entendement des politiciens et des décideurs ». Cette assertion, qui se situe dans le droit fil du principe de la primauté des dépenses, participe d’une vision de l’économie comme système de relations monétaires. En affirmant dans le même contexte que « tout est affaire de demande », Krugman se démarque à bien des égards du principe de la prééminence de l’offre.  Aussi soutient-il que le chômage est à imputer à l’insuffisance de dépenses privées et publiques et non au niveau des salaires. La baisse de ceux-ci, entraîne, selon lui, une contraction des revenus qui agit négativement sur la demande et sur l’emploi.  Dans le même temps, il considère que la hausse de l’épargne s’accompagne d’une réduction des dépenses et du fléchissement de l’activité. Il reste cependant qu’il place ces propositions sous l’autorité de Keynes. S’il est vrai que l’approche kaleckienne survit dans le sillage des analyses qui se réclament du projet originel de la Théorie générale, la référence explicite à Kalecki est de nature à éviter les ambiguïtés de ce projet qui ont facilité sa réduction dans les termes des imperfections de marché sous l’égide de l’hypothèse de convergence vers le plein emploi à long terme.

    …à la politique budgétaire

    C’est à partir de son équation fondamentale que Kalecki fournit une argumentation serrée en faveur du soutien à l’activité par les dépenses publiques.  En prenant en compte les interventions publiques et en supposant que la consommation des entrepreneurs est négligeable, l’équation se réécrit :

    Profits après impôts = investissement + dépenses publiques – recettes

    ou encore

    Profits après impôts = investissement + déficit public

    Le déficit génère des profits qui se confondent avec les profits globaux. Comme tel, il participe à la fixation du niveau général de l’activité. Si l’État accroît ses dépenses, toutes choses étant égales par ailleurs, le déficit et les profits s’élèvent d’un même montant. « Le déficit du budget – écrit Kalecki- peut être considéré comme un excédent commercial artificiel. Dans le cas d’un excédent commercial, un pays reçoit plus grâce à ses exportations qu’il ne paie pour ses importations. Dans le cas d’un déficit du budget, le secteur privé de l’économie reçoit plus de dépenses du Gouvernement qu’il ne lui paie d’impôts ».

    Cette perspective enveloppe des implications qui vont toutes à l’encontre de l’effet de l’éviction. En premier lieu, des dépenses publiques financées par le déficit accroissent les achats de marchandises auprès du secteur privé et stimulent donc l’activité des firmes. En deuxième lieu, le déficit public améliore les perspectives de profit des entreprises ; ce faisant, il contribue à la hausse des cours des titres émis par les firmes privées en même temps qu’il incite les banques à modérer leurs taux d’intérêt. Enfin, le déficit n’entraîne pas une raréfaction de l’épargne. L’accroissement du revenu auquel il contribue induit une hausse de l’épargne. Loin d’évincer les entreprises, le déficit budgétaire exerce, de par son effet créateur de demande et de profits, un impact positif sur les décisions de production et d’investissement.

    Lorsque le déficit est financé par l’emprunt, l’État peut s’employer à éviter que le poids des intérêts pèse sur la croissance. A ce sujet Kalecki définit une forme de taxe sur le capital destinée à faire face à la charge de la dette publique sans affecter les dépenses globales. Cette taxe, dont le taux doit être proportionnel aux intérêts de la dette publique, serait applicable à la totalité du capital quelle que soit sa forme ou son détenteur (ménages ou firmes). Comme telle, elle n’aurait pas d’incidence sur la répartition du capital entre ses différentes affectations. Tout capital non investi serait également taxé. Le principe de la proportionnalité de la taxe aux intérêts produits par la hausse des emprunts publics n’affecte pas   l’activité globale. La dette publique ne découragerait pas, dans ce contexte, l’investissement et la consommation des détenteurs de capitaux. Dans le cas d’un endettement public croissant, le taux de la taxe serait modifié uniquement en fonction des mouvements du taux d’intérêt. Afin d’alléger le prélèvement fiscal sur les entreprises, des modalités d’application particulières pourraient être envisagées. Elles consisteraient pour l’essentiel à rendre la taxe déductible du revenu imposable. Le manque à gagner fiscal qui en découlerait pourrait être compensé par la taxation des intérêts supplémentaires de la dette publique.

    La critique que formule Krugman à l’endroit de la finance saine et de la thèse des restrictions budgétaires expansionnistes rejoint bien l’analyse de Kalecki. Selon cette critique, en situation dépressive ou d’atonie de la croissance, le déficit produit des effets stimulants sur la production et l’emploi. Le coût de l’endettement dans ces conditions est contrebalancé par la hausse de la demande et des revenus et l’évolution du taux d’intérêt se trouve déconnecté de celle du déficit. Cette déconnexion joue sur le mode majeur lorsqu’une politique monétaire accommodante freine l’alourdissement du service de la dette. D’autre part, Krugman récuse le point de vue austérien selon lequel l’austérité accroît la confiance dans l’orientation de la politique budgétaire et incite les entreprises et les ménages à anticiper une baisse des impôts et des taux d’intérêt qui vient relancer l’économie.  Ainsi, il affirme que l’austérité génère intrinsèquement des effets récessifs par son impact négatif sur la demande intérieure et sa composante publique. Cet impact ne peut être compensé par l’incidence favorable attendue de la réduction de la ponction fiscale. Censée transiter par les effets de confiance, cette incidence est peu plausible. Loin de stimuler la demande globale, l’ajustement par les dépenses publiques génère des comportements qui accentuent la baisse des dépenses à travers le gonflement de l’épargne et le rationnement de l’emploi.

    Krugman inscrit explicitement cette assertion, à la différence de ses considérations sur le rôle moteur de la dépense, dans la lignée de Kalecki en la rattachant à un article de 1943. Dans cet article, qui analyse la relation entre le déficit public et l’emploi, M. Kalecki se penche sur l’influence des entrepreneurs sur le profil de la politique budgétaire à travers la mise en avant de l’état de confiance comme déterminant de l’emploi. Dans un contexte d’expansion de l’investissement public, la hausse du poids de l’État dans l’activité économique risque de susciter des réactions défavorables décourageant l’initiative privée. Cette défiance entraîne un déclin des dépenses des entreprises et un recul de l’emploi de sorte que le décideur public se trouve confronté à des tendances qui contrecarrent son objectif de réduction du chômage imposant des mesures de contrôle du déficit public. Cet arbitrage s’explique, selon Kalecki, par le fait que le chômage constitue, aux yeux des entrepreneurs, une menace nécessaire à la préservation de discipline du travail et de la productivité.

    De cette analyse Krugman dégage une double conclusion : outre que l’argumentation en faveur de l’austérité ne bénéficie d’aucune caution analytique, elle résulte de choix politiques nourris de poncifs et de préjugés infondés à l’endroit du déficit.

    « Le renouvellement de la pensée économique passe par la lecture de vieux livres ». Au-delà de son ton ironique, cette fameuse déclaration de Mark Thom lors d’un colloque tenu en 2011 sur les exigences d’un changement théorique, signale la dette des analyses contemporaines à l’égard des fondateurs. La crise somme immanquablement la tradition macroéconomique dominante de répondre à la mise à l’épreuve de ses idées et préceptes de politique économique, et de se confronter aux approches concurrentes. A observer ses prises de position et ses considérations face aux conséquences du choc sanitaire, on peut les saisir, en s’inspirant du philosophe des sciences Pickering, dans les termes d’une accommodation qui consiste à procéder à des révisions en conservant intacte la structure théorique d’ensemble. Le retournement en faveur du déficit public est emblématique de cette accommodation qui révèle, au fond, des incohérences. Il s’agit d’une révision ad hoc dictée par les impératifs de gestion de la crise : c’est l’art du décideur public, et non la théorie de la politique économique, qui est appelé à la rescousse en vue de justifier l’abandon des règles d’encadrement de l’endettement et du déficit et l’injection de liquidités pour contrer la récession et soutenir la consommation et l’investissement. Cette attitude, qui se double d’une mise en veilleuse des arguments traditionnellement opposés aux politiques budgétaires actives et de la rhétorique qui les accompagne, débouche sur une scission entre le principe d’efficience associé à l’allocation optimale des ressources sur les marchés et ses implications de politique économique. Le plaidoyer en faveur de la mobilisation de l’instrument budgétaire est manifestement en porte-à-faux avec les inefficacités et l’instabilité attribuées au financement du budget public par l’emprunt. Ce plaidoyer ne procède en effet d’aucune révision d’hypothèses ou conclusions théoriques afférentes à l’efficience comme point d’appui à la conception des décisions budgétaires et monétaires. Sous ce rapport, l’accommodation apparaît comme une pause contingente à la crise, à l’image de celle qui a suivi l’ébranlement de 2008 pour céder place à la défense de l’austérité moins de trois ans après. En l’absence d’arguments formulés au sein de la structure théorique de base en faveur du déficit public, l’accommodation apparait bien fragile : non seulement elle ne tient pas compte des démentis apportés à l’inadéquation des politiques conventionnelles, mais elle ne justifie pas les réponses des décideurs publics à la récession. Si la crise ne semble pas ouvrir la perspective de changements théoriques, elle donne l’occasion de (re) découvrir la pertinence de… vieux textes de Kalecki.


    Par Rédouane Taouil, Professeur à l’Université Grenoble Alpes. Ce texte doit beaucoup à la lecture des travaux de Joseph Halevi, professeur à l’université de Sydney, ainsi qu’à de nombreux échanges avec lui. Qu’il soit ici vivement remercié sans que sa responsabilité soit engagée.